Littérature:Petit Jardin en Fleur/Le·a fegi-shi aux yeux blanc

De Magnus Codex


Le·a fegi-shi aux yeux blancs
RecueilPetit Jardin en Fleur
TypeNouvelle
ÉtatBrouilon

Le·a fegi-shi aux yeux blancs

En l'an 251 du Deuxième Âge

Après trois jours de marche solitaire, je sentais enfin les fragrances de feu de bois, de torchis frais et de graillon qui indiquaient que je me rapprochais de ma destination.

La saison humide battait son plein ici, dans la région de Vael. Baigné·e dans l'empyreume, je pouvais entendre nombre d'oiseaux et de petits rongeurs s'affairer dans les fourrés de ce sous-bois. Il y avait même un ruisseau qui coulait non loin dans laquelle quelque bête de taille —probablement un ours— pataugeait.

Des clameurs finirent par m'atteindre alors que je n'étais qu'à une centaines de pas de l'entrée du village.

"Euh, bonjour voyageur·euse," m'accosta une autochtone. "Est-ce qu'on peut vous aider?"

Je tournai ma tête dans sa direction. "Je suis bien au village de Beaubroug-sur-Vanti? Je suis fegi-shi et j'ai entendu dire que vous aviez besoin d'aide."

"Fegi-shi?" demanda la femme.

Une voix d'homme lui répondit. "Tu sais, un·e expert·e des magifestes. Oui, c'est bien ici. Je vais vous emmener au maire."

Je lui souris. "Merci mon brave. Je vous suis."

Il émit un léger raclement de gorge, ne sachant sans doute pas comment procéder.

"Ne vous inquiétez pas l'ami, je vais rester près de vous. Évitons les endroit bondés et il n'y aura pas de soucis."

Sans rien ajouter, il s'éloigna et je lui emboîtai le pas.

"Vous savez pourquoi on m'a mandé ? La lettre qu'on m'a transmise à la Porte du Havre ne contenais aucun détail..."

Il répondit d'une voix mal assurée. "Oui, mais euh... C'est peut-être mieux si c'est la maire qui vous en parle. J'ai pas envie de dire de bêtise."

"Oh, bien sûr, je faisais juste la conversation pour que le trajet soit un peu plus simple."

Un ange passa, à l'issue duquel l'homme, se sentant contraint de continuer la discussion, se renseigna : "Alors comme ça vous venez de la Porte du Havre ?"

"Oui, mais j'étais seulement de passage. Je suis itinérant·e, je ne reste que quelques jours, voire quelques semaines dans les villes que je traverse."

"Je vois." Il réfléchit un instant avant d'ajouter. "Il n'y pas beaucoup de fegi-shi, dans les grandes villes ?"

Je retins un soupir. Question peu subtile, mais je ne pouvais vraiment lui en vouloir. Enfin, peut-être que je pouvais, mais je choisis de ne pas le faire.

"Les fegi-shi sont rares, en général, mais il est commun d'en trouver plusieurs dans les capitales des duchés. J'ai été dépêché·e parce que j'ai accepté de faire la route, mais aussi parce que je suis réputé·e particulièrement compétent·e."

La fin du trajet se fit en silence. Nous entrâmes dans un bâtiment qui était sans doute la mairie, puis après un court échange auprès d'un commis et l’ascension d'un escalier, nous pénétrâmes dans le bureau où nous attendait le maire."

La chaleur solaire irradiait la pièce et mon visage. Le maire avait avec une voix aiguë mais anguleuse.

"Bienvenue à Beaubourg, voyageur·euse. Vous êtes l'expert·e en magifestes que nous attendions, n'est-ce pas ?"

Je trouvai une chaise et m'assis. "Je suis fegi-shi, oui, et je viens effectivement suite au message que vous avez faire porter à la Porte du Havre. Pourriez-vous me dire ce que vous savez sur la situation ? Je n'ai pour ainsi dire aucun détail."

Un énième silence s'installa, supposant que le maire me dévisageait.

"Y a-t-il un problème, monsieur le maire ?" soupirai-je, las·se de dissimuler mon exaspération.

Le maire bafouilla. "Euh, et bien... Il se pourrait que votre... situation ne vous empêche de faire votre travail. Vous comprenez, la plupart des témoignages que nous avons sont des descriptions physiques..."

Je fronçai les sourcils. "Ça, c'est à moi d'en juger. Je vous promet que si vous me chassez à cause de mon handicap, la Porte du Havre ne vous enverra personne d'autre."

Le maire se frotta bruyamment la barbe en marmonnant. "De toute manière, il faudrait au moins une semaine pour que nous envoyions un autre courrier et ayons la réponse, donc... Je suppose que ça vaut le coup d'essayer."

Je changeai de place sur ma chaise. "Ne soyez pas trop prompt à juger les gens, monsieur le maire. Je fais ce métier depuis quinze ans et personne ne s'est jamais plaint de ma cécité."

"Je suppose, je suppose..."

Je fis un moulinet de la main. "Mettons-nous au travail, et vous pourrez bientôt juger pas vous-même."

"Oui. Vous avez raison après tout."

L'homme qui m'avait accompagné prit congé et le maire se lança dans les explications.

Il m'expliqua qu'ils avait plusieurs témoignages de 'bêtes' ou de 'rongeurs' qui ont été vus dans plusieurs bâtiments de la ville, et même parfois dans la rue. Principalement la nuit, mais pas seulement. Ça avait touché divers bâtiments: deux habitations, un atelier de tailleur, un grenier et une bibliothèque.

"C'est rare d'avoir une bibliothèque dans un village aussi profondément ancré dans la campagne", m'étonnai-je. "Vous avez des scribes ou d'autres érudits ?"

"Tout à fait. Une académicienne garrassfantoise est venue il y a quelques années prendre sa retraite ici, où vivait sa famille du temps de sa grand-mère. Elle forme un scribe et fait régulièrement importer des ouvrages reliés et des codex. Mais 'bibliothèque' est un bien grand mot. Figurez-vous plutôt un lieu d'étude avec quelques étagères de livres."

Le maire continua. Il me donna quelques descriptions sommaires, mais relativement peu utiles.

"Il faudrait que je m'entretienne avec ces témoins, sur les lieux où ils ont vu ces supposés magifestes."

"Bien sûr. Ça risque de prendre un peu de temps, selon la disponibilité de chacun. Vous serez logé·e chez ma fille et son époux, le temps que vous résolviez la situation."

J'acquiesçai. "Merci bien. Dites-moi, y a-t-il des mages relativement puissant dans votre communauté ? L'académicienne par exemple ?"

Il se frotta de nouveau la barbe.

"Pas que je sache. Elle est historienne, pas magologue. Quand à nos autre concitoyens... À part une poignée de gens un peu plus douée que la moyenne, je n'en n'ai jamais eu vent."

"Personne n'a jamais détruit de porte ou de fenêtre par 'accident' ? Pas de champs ayant miraculeusement poussé en une nuit ? Pas de guérisseur particulièrement doué ? Pas de mercenaire à la retraite dans votre garde ?"

Il soupira. "Non, non, rien de tout ça. Le bruit aurait couru et me serait parvenu si des choses aussi étranges s'étaient produites. Pourquoi tant d'insistance ?"

Je me penchai en avant pour lui expliquer. "Vous savez que les magifestes n'apparaisse qu'aux endroits où de la puissante magie ou de la magie modérée mais employée à répétition est pratiquée, n'est-ce pas ?"

Il grogna. Je poursuivis.

"Ça veut dire qu'un·e des habitant·es pratique de la magie, en secret, et ce régulièrement. Depuis combien de temps ces évènements ont lieu ?"

D'une voix renfrognée, le maire me répondit. "Trois semaines. Mais pourquoi diable quelqu'un ferait de la magie en secret ?"

"Ça, c'est à vous de me le dire. Vous n'avez pas de loi ou de tradition interdisant la pratique de la magie ?"

"Non, aucune."

Je m'allongeai de nouveau sur le dossier de ma chaise. "Il me faudrait aussi la liste des décès au cours de ces cinq dernières semaines, si possible avec le lieu du décès."

"Pourquoi ? Quel rapport avec les magifestes ?"

"L'apparition de magifeste est inhibée par la mort prématurée des humains. Connaître le nombre et la fréquence des décès, croisée avec la puissance des magifeste —que je constaterai moi-même— me permettra de jauger la puissance de la magie qui les a engendrés."

"Très bien, je vous ferai parvenir ça. Vous me confirmer donc que ce sont bien des magifestes à l'œuvre ?"

Je hochai la tête. "Absolument. Il y a peut-être quelques témoignages induits en erreur par quelque rat ou chien errant, mais certaines descriptions m'assurent qu'il y a au moins plusieurs espèces de magifestes dans votre village."

Le maire fit racler sa chaise. "Très bien, a moins que vous n'ayez d'autres questions, allons directement sur le premier lieu infesté."


Je savais que nous étions proche de la bibliothèque car les odeurs caractéristiques du papier et du vélin emplissaient mon tarin.

"Les fenêtre sont ouverte ?" déduis-je de l'intensité des effluves que je sentais à même la rue. "Ils n'ont pas peur que les feuillets s'envolent ?"

"C'est vrai que c'est bizarre," grogna le maire en se grattant de nouveau les poils du menton, "j'ai pas souvenir de les avoir déjà vues toutes grandes ouvertes comme ça."

Il frappa à la porte, et c'est une personne à la voix jeune et féminine qui nous ouvrit. L'apprentie scribe.

Je pris une grande inspiration, anticipant ce qui allait arriver, et entrai.

Dans un éclair éblouissant, je recouvris la vue à l'instant mon pied foula le plancher vernis de l'antre aux livres.

Aveuglé·e, je forçai tout de même mes yeux à rester ouverts, pour profiter de cette rare opportunité.

La pièce était vaste, occupant presque tout le rez-de-chaussée de la bâtisse. De larges fenêtres étaient en effet grandes ouvertes sur tous les murs de la pièce. Quatre grandes étagères contenait l'intégralité des ouvrages présents, une cinquantaine au total, à vue de nez.

"Attendez, vous... vous pouvez voir, maintenant ?" s'étonna le maire, constatant mon regard balayant la pièce.

"Oui," répondis-je sans cesser d'admirer le lieu.

Il y avait deux grandes tables de lecture au centre, et deux écritoires dans un coin. La seule autre pièce accessible devait être un genre de remise, vue sa petitesse, et un escalier montant vers ce que je devinais être les appartements de l'académicienne.

"Comment ça se fait ? Vous m'avez menti, c'est ça ? Vous vous êtes foutu de moi !"

"Non", lançais-je avec flegme.

Mon regard finit par se poser sur la scribe. Elle était effectivement assez jeune, à peine majeure, assez grande et élancée avec des main délicates mais cloquée dû à l'usage de la plume. Sa peau était d'un jaune très clair, presque beige, avec des yeux d'un bleu sombre et profond et des cheveux châtains coupés en brosse.

Elle haussa un sourcil, le regard pénétrant et la bouche tordue de perplexité.

"Vous êtes oracle, c'est ça ?"

Je me trouvai brièvement surpris·e de cette remarque clairvoyante, sans pour autant cesser de la contempler. Ses vêtements étaient simples, mais propres. Elle portait une veste blanche à manches longues sur une tunique brune. Ceintrée d'une jupe évasée couleur vert feuille, elle était chaussée de hautes bottes de cuir.

Pour lui répondre, je hochais la tête. "Comment avez-vous entendu parler des oracles ?" Cette connaissance était rare, nous étions très peu nombreux et notre existence était pour le moins méconnue.

"J'ai eu un cousin qui était comme vous. Enfin, il voyait très bien, c'est juste qu'il était muet. Sauf la nuit. Là il devenait un moulin à parole."

Elle soupira, mélancolique.

"Personne ne savait ce qu'il avait. Ses parent pensaient qu'il était malpoli, et n'arrêtaient pas d'essayer de le forcer à parler. Ils savaient qu'il n'était pas vraiment muet, parce qu'il parlait dès que le soleil se couchait, alors il le prenait juste pour un idiot qui ne voulait pas faire ce qu'on lui demandait. Ils leur arrivait même de le battre.

"Il a finalement décidé de déménager à la Passe, pour tenter d'avoir une meilleure vie. Ma mère et moi avons fait le trajet avec lui. C'est là-bas qu'un ecclésiastique nous a appris qu'il était oracle..."

"Et ça consiste en quoi, concrètement ?" demanda le maire.

Je me tournai vers lui, et pour la première fois je pus voir à quoi il ressemblait. C'était toujours troublant de confronter l'image mentale que je me faisait des visages avant de pouvoir les voir à la réalité.

Il était petit, avec des cheveux roux hirsutes et une barbe broussailleuse. Sa peau était d'un jaune sombre et ses yeux vert-de-gris. Il portait une redingote noire poussiéreuse et des chaussures à talonnettes.

"Si j'ai bien tout compris," continua l'apprentie après avoir pesé mon silence, "ce sont des personnes qui ont un sévère handicap, mais qui disparaît quand elles sont dans certaines conditions. Pour mon cousin, c'était la nuit, et pour vous..."

"C'est la présence de magifeste." finis-je.

Mes deux interlocuteurs scrutèrent timidement la pièce, comme s'ils cherchaient les magifestes en question.

"Mais comment ça se fait, ça, les oracles ? Ça n'a pas l'air très naturel," s'interrogea le maire.

"C'est une malédiction divine," répondis-je. Le maire me toisa d'un œil inquisiteur.

"Vous avez énervé les dieux et ils vous ont maudit..."

Je secouai la tête. "Je suis né·e comme ça. Comme tous les oracles. Voyez-ça plutôt comme..."

Comme je cherchais mes mots, la scribe finis ma phrase.

"... comme une épreuve octroyée par les dieux. Il se dit que les oracles sont particulièrement compétents dans de nombreux domaines, comme pour compenser leur handicap."

Je repris. "Certains le prennent dans l'autre sens. Nous sommes supposément très doué·es, un don fait par les dieux, alors pour compenser ils nous maudissent."

Le maire hochait lentement le chef, la main dans sa barbe. "Je vois. Donc vous, vous êtes aveugle, sauf quand il y a des magifestes dans la pièce ?"

J'opinais. "Exactement."

"Et où sont-ils?" demanda-t-il en regardant derechef alentour.

"Probablement cachés. Je vais commencer mon travail d'expert·e maintenant."

Le maire hocha la tête, puis pris congé, prétextant d'autres affaires à gérer.

J'interrogeai la scribe. "Y a-t-il eu récemment des évènements étranges, ou simplement hors du commun, ici, dans la bibliothèque ?"

Elle pris l'air de réfléchir un instant. Dieux, qu'est-ce que c'était agréable de pouvoir lire les émotions de mes interlocuteurs sur leur visage. Il m'avait fallu du temps pour être capable de les déchiffrer à peu près correctement, et même à ce jour je n'étais pas capable de percevoir les émotions les plus subtiles ou dissimulées, mais sortir de l'obscurité me faisait un bien que ceux qui n'avaient jamais vécu la cécité ne pouvaient comprendre.

"Et bien, euh... Non, pas vraiment. À part le problème d'humidité qu'on a depuis un moment, rien qui sort de l'ordinaire."

Je haussait un sourcil. "Un problème d'humidité ? Depuis combien de temps ?"

Elle se gratta la tête. "Un peu plus de trois semaines, je dirais ?"

"Ça a l'air lié à notre problème. Vous pouvez me montrer ?"

Me montrer. C'est pas souvent que j'utilise cette locution.

La scribe me mena dans la petite pièce voisine, où je découvris ce que je devinais être l’académicienne tant évoquée, fort contrite, qui avait étalé de nombreux rouleaux, feuillets de folios et livres ouverts sur une table. Plusieurs lanternes de sécurité était éparpillées çà et là, sans doute dans le but de sécher tous les ouvrages.

Elle était grande, les cheveux tirés en arrière et attachés serré. Elle était vêtue de vêtements de villes pratiques, mais transpirait d'une modeste richesse, contrastant avec ces concitoyens ruraux.

Je me présentai et lui demandai des informations sur ledit problème d'humidité.

"Je n'en peux plus," souffla-t-elle d'exaspération. "Peu importe combien de livres je sèche chaque jour, l'humidité persiste et abîme les ouvrages... Ce malgré la chaleur qu'on met en place et l'aération permanente... Je sais que c'est la saison humide, mais c'est la première fois que ça fait ça !"

Il me semblait évident que c'était dû à des magifeste, au vu de ce que je savais, mais j'avais du mal à réfléchir clairement et je ne voulais pas précipiter mes conclusions.

"Vous avez rapporté au maire que vous aviez vu des petites créatures rôder dans la bibliothèque ?"

Ce fut la scribe qui me répondit. "Oui, à trois reprise. Des genres de gros insectes volants et se cachant dans les coins. La première fois, j'avais cru à des mites et donc me suis montré vigilantes, mais quand je les ai revues, j'étais sûre que c'était autre chose. Je les ai cherchées, mais en vain."

"À quelle période de la journée les avez-vous vues ?"

Elle chercha derechef dans sa mémoire. "Le soir, peu après le coucher du soleil. Après une longue journée d'étude, en genéral."

"Et où les avez-vous cherchées ?"

Elle haussa les épaules. "Derrière et sous les meubles. Et même dans les tiroirs des bureaux. Mais rien."

Je retournais dans la salle principale.

"Bon," commençais-je à déclarer. "Si ce sont bien des magifestes, on a sans doute affaire au type nuée. Ils sortent la nuit, et cherchent à humidifier le lieu. Et malheureusement, c'est au papier et au vélin que l'humidité s'accroche le plus. Donc..."

Je m'approchais d'une des bibliothèques et entrepris de l'éloigner du mur. Dieux que c'était lourd ! L'apprentis et sa maîtresse m'aidèrent, et nous pûmes découvrir que le dos du meuble était vide.

"J'ai déjà regardé là plusieurs fois..." précisa la scribe.

"J'avais compris, mais je veux tester quelque chose." Je colais mon oreille au dos de la bibliothèque. "Vous voulez-bien retirer quelques ouvrage, à mi-hauteur ?"

Elle le firent, et avec attention, j'entendis des petit bruits de frottement et de flappement.

"Je vois," dis-je en retournant au devant du meuble. "Voici ce que nous allons faire. On va devoir retirer tous les ouvrage des étagères, mais on va d'abbord placer un drap au dessus de nous. Les magifeste se cachent derrière les livre. Si on les retire tous, ils vont tenter d'aller se cacher ailleurs. Le drap va les en empêcher, et on pourra en capturer un. Une fois cela fait, on pourra laiss les autre partir."

Nous mîmes en place le dispositif, et lorsque presque tous les volumes furent retirés des étagères, une nuée de petites créature volante surgirent d'un seul homme de leur cachette.

Ils ressemblait à des petites bandes de papier blanches comme neige. Leur 'tête' etait repliée vers l'arrière, et leur 'queue' avait la form d'une queue de pie. Ils avaient des 'ailes' perpendiculaires à leur corps, mais droite et arrondie à leurs extrémités. Elles ne battaient, mais se déplaçait comme si elle planait. Cependant, leurs trajectoires impossibles démontrait bien qu'ils s'agssait de magifestes.

La scribe parvint à en attraper un entre ses deux doigts, et je pu l'examiner de plus près.

Le magifeste ne se débattait pas, mais tentait de s'envoler comme s'il n'était pas pris au piège. Pas vraiment intelligent, indiquant que la magie l'ayant engendée était simple. Par forcément faible, mais son effet servait un objectif simple.

Je frottai un pan du draps contre le 'ventre' du magifeste, et celui-ci se retrouva humide. J'indiquai à la scribe qu'elle pouvait le relâcher.

"Alors ?" m'interrogea l'académicienne. "Quelles sont vos conclusions ? Que peut-on faire ?"

Mon esprit était terriblement embrumé et j'avais du mal à réfléchir.

"Cela-vous dérange-t-il que l'on sorte dehors, avant de continuer ?"

Les deux érudites échangèrent un regard surpris, mais acceptèrent.

Une chose qui est peu sue à propos des oracle est que nos soi-disant 'compétence supérieures' sont réduite à une certaine médiocrité quand notre malédiction est levée. Ainsi, tant que je voyais, j'avais du mal à réfléchir à pleine capacité.

Quelle merde, cette malédiction.

Une fois dehors, je perdis de nouveau mon précieux sens de la vue, mais je pus enfin prendre un peu de recul sur la situation.

"C'est quoi une nuée ?" demanda la bibliothécaire.

Je pris le temps de répondre. Après tout, il y avait une chance non-nulle que cette situation se reproduise une fois cette affaire terminée.

"Il existe quatre type de magifestes. La nuée sont celui que vous venez de voir. Il s'agit d'une colonie de petit magifestes qui agissent ensembles. Un exemple connu est celui des Singes Volant résidant aux Archives du Monde. Les membres d'une nuée partagent le même but et agissent souvent de concert. On peut considérer qu'une nuée est en réalité une seule entité, un seul magifeste."

"Et pourquoi on ne les écrase pas simplement comme des insectes ?" demanda cadidement la scribe, contrite qu'on les ai laissé s'envoler vers une autre cachette."

"Oh, et bien il y a deux raison à ça. La première, c'est que les magifeste en général sont compliqué à 'tuer', bien que ce terme soit un abus de langage, on parle plus de détruire, parce que ce ne sont pas des animaux, ils ne sont pas a proprement parlé vivants, ce sont plutôt des évènements naturels. Un peu comme le fait de construire un barrage forme naturellement un lac en amont de la rivière, utiliser la magie forme naturellement des magifestes.

"La deuxième concerne les nuées en particulier. C'est un seul organisme, comme je l'ai dit, donc si nous ne les détruisons pas tous, s'il n'en reste ne serait-ce qu'un seul, alors la nuée se reformera. Et comme vous l'avez vu, ils sont bien cachés, on ne pourra jamais savoir si on les a tous détruits."

"Oh, je vois." conclu l'apprentie, déception dans la voix.

"Et les autres types ?" s'enquit l'académicienne.

"Il existe les colosses. Beaucoup de colosses sont connu, comme Testudino, la tortue géante qui trace des routes — bien que ce soit pas une tortue — et le Mangeur de Pierres. Ceux-ci se caractérise par, premièrement une taille souvent bien supérieure à celle d'un humain, deuxièmement leur durée de vie extrêmement longue. En règle générale, ils accomplissent leur tâche lentement mais sûrement. Certains existent depuis plusieurs siècles.

"Les deux derniers sont les reclus et les singuliers. Les reclus sont le type par défaut, c'est à dire un unique magifeste de taille moyenne, sans longévité particulière et qui ont tendance à se cacher — contrairement aux colosses. Les singuliers sont tous ceux qui sont inclassable dans les trois autres catégories."

Le silence s'installa alors que les deux érudits assimilait toutes ces information.

"Pour revenir à notre problème," repris-je, "comme je l'ai mentionné l'objectif de ces magifestes-là est d'humidifier toute la pièce. Ils ont probablement migré dans la bibliothèque à cause des livre et du 'potentiel d'humidification' du lieu, si ça fait sens pour vous. Cela signifie deux chose. La première, c'est que le ou les sorts lancés qui les ont manifestés visent à sécher des objets. Aucune de vous deux ne pratique la magie à répétition, par hasard ? En particulier pour sécher des livres ou autres ?"

Il répondirent négativement à ma question.

"Bien. La deuxième, c'est qu'ils ne disparaîtront pas tant qu'il n'auront pas tout humidifié à leur guise. Je ne peux pas savoir à quelle point ils comptent le faire, mais ça peut mettre en grand danger tous les ouvrages qui sont présent."

J'entendis l'académicienne croiser les bras et changer de posrture dans un léger grognement.

"Oui" me confirma l'académicienne.

"Premièrement, vous allez protéger les bibliothèque avec des peaux animales, ou des draps à défaut. Ensuite, fenêtres fermées, vous allez faire bouillir de l'eau pour que la vapeur se répande dans la pièce et humidifie l'endroit.

"En parralèle, vous alllez apporter des choses sèches dans vos appartements. Des feuilles mortes, de la paille, bref, des trucs végétaux bien secs. Et dès que la pièce devient un peu humide, vous les remplcerai pour que ça reste toujours les plus sec possible.

"En deux ou trois jours, le magifestes migreront à l'étage. Vous transporterez alors les livres dans un autre endroit, assez loin et bien à l'abri, et enfin pour pourrez laissez les magifeste humidifier à leur guise toute la bâtisse."

La bibliothécaire gromela. "Combien de temps ça prendra, une fois les ouvrages déplacés ?"

Je réfléchis. "Je dirais quatre ou cinq jour dans le meilleur des cas, deux semaine dans le pire."

La scribe intervint. "Et pourquoi on ne bouge pas directement les livres ailleurs ?"

Je secouai la tête. "Si vous faites ça, il y a un risque que les magifeste 'suivent' les livres. Donc à moins de les éparpiller dans une dizaine de bâtiments différents aux quatre coins du village, le plus sûr est de les divertir avec un endroit plus attrayant pour eux, et proche de leur position actuelle, avant de migrer les volumes."

Je soupirai

"Si on était en saison sèche, on aurait pu faire ça dehors au lieu d'inonder vos appartements de paille, mais malheureusement..."

Je laissai traîner ma phrase, réfléchissant à une alternative moins contraignante. Mais je fini par secouer la tête, confirmant l'opération que j'avais proposé était la meilleure.

J'entendis le craquement des jointures de l'académicienne qui s'étirait pour chasser l'apréhension de l'effort à venir. "Bon. Y'a plus qu'à nous mettre au travail."

Je sentis une main sur mon épaule qui une autre qui se saisit de la mienne. "Merci, fegi-shi. Si on a d'autre question, on viendra vous voir."

Je hochais la tête avant de les entendre repartir à l'intérieur et commencer à fermer toutes les fenêtre.

Je levai le visage vers le ciel pour jauger la position du soleil par sa chaleur. Il commençait à se faire tard, notre petite enquête nous ayant occupés un bon moment. Je n'aurai sans doute pas le temps de visiter d'autre témoins aujourd'hui, principalement à cause de la fatigue du voyage qui m'empêcherait de veiller trop tard.


J'avais demandé à la fille du maire de m'apporter une chandelle et de me laisser seul·e dans la chambre qu'elle me prêtait pour mon séjour ici. Je maintenais un sort du domaine de l'Égide pour créer une bulle autour de la flamme et l'étouffer, et à chaque fois que sa chaleur devenait trop faible, je lançai un sort d'Amélioration pour la relancer.

Au bout d'une bonne demi-heure de ce petit manège, ma vue me fut de nouveau rendue.

Le petit magifeste qui venait de naître ressemblait à un minuscule lézard couleur miel strié de nervures rouges. Il n'avait pas de tête, mais une queue qui joignait ses deux extrémité dans une large boucle.

Il s'agrippa à la chandelle, approcha sa queue de la flamme et celle-ci s'embrasa avec douceur, maintenant une luminosité et une chaleur constante.

Il devrait rester au moins une heure, voire jusqu'à ce que la chandelle se termine si j'avais de la chance. Ainsi, je pouvais lire le registre des décès que le maire m'avait fait porter en fin de journée, juste après le repas.

Je profitai de ce moment de clairvoyance pour observer le village plongé dans la pénombre vespérale, à travers la fenêtre. Les maisons était vieilles, faites de bois et de torchis comme avant la Guerre Triangulaire. Le sous-bois que j'avais traversé était l'orée d'une sylve plutôt épaisse qui nimbait le village. Je ne voyais pas le ruisseau que j'avais entendu le matin, mais il traversait certainement le village, sans doute le Vanti qui donna son nom à Beaubourg-sur-Vanti.

Je me plongeai dans le registre. J'avais du mal à lire, déjà parce que le draschais n'étais pas ma langue maternelle, mais surtout parce que mon éducation littéraire avait été frugale à cause de mon handicap.

La lecture m'apprit tout de même qu'il n'y avait pas eu de décès lors de ses trois dernières semaines. Ce n'était pas surprenant pour un village comptant au plus trois cent âmes. La magie à l'œuvre ne pouvait donc pas être très puissante. Il se pouvait même que cela soit de la magie pratiquée à très bas niveau, mais à une fréquence très élevée, comme je venais de le faire avec ma petite salamandre-de-chandelle.

La lumière ainsi que mon acuité finirent par s'éteindre. Replongé·e dans la solitude d'une obscurité noire d'encre, je me réfugiais dans mes pensées.

Cela en valait-il vraiment la peine ? C'était comprendre que ma malédiction était liée aux magifestes qui m'avait poussé·e à faire métier. Mais être quotidiennement confronté·e au validisme des gens auxquels je suis sensé·e venir en aide était fatigant. Bien plus que de voyager seul·e dans la rase-campagne. Ne ferais-je pas mieux de me réfugier dans quelque lieu où les magifestes était en permanence présents, comme aux Archives du Monde, pour finir mes jours en paix ? Ou encore dans quelque ermitage où mon handicap ce sera pas jugé ?

En m'allongeant sur le matelas dur, je balayais cette pensée. Je m'étais suis toujours interdit·e d'être contraint·e par ma malédiction. Et si je devais passer ma vie à combattre le validisme où que j'aille, et bien soit, j'en faisais mon fardeau.

C'est parfois juste tellement éreintant...

Heureusement, je fut rapidement emporté·e au royaume des rêves.


Le matin fut dur, plus que le matelas.

Mon dos me faisait souffrir, la qualité déplorable du lit s'ajoutant aux heure de marche de la veille. Ouvrir les yeux et voir le sempiternel noir, bien que je devrais y être habitué·e, est toujours une surprise pour mon esprit qui n'arrive pas à s'y accoutumer. La perspective d'une journée interessante de travail est peu à peu remplacée par la réalité du validisme que j'ai subit la veille, et qui allait en toute probabilité continuer pour chaque personne que je devrais interroger.

J'envisageai de rester couché·e, de replonger dans le sommeil ou de feindre une fièvre, mais la chaleur matinale qui m'asperge depuis la fenêtre et mon intégrité empêchait l'une et l'autre de ces oprions.

Tandis que je m'habillai à tâtons, je me demandais : petit déjeuner ou pas ? Le fille du maire s'était montrée timidement curieuse sur mon aptitude à faire mon métier lors du repas de la veille, tandis que son époux s'était montré impoliment silencieux. Seuls les éclats de voix de leur jeune fille que j'entendai à travers la porte me convainquit de me joindre à eux.

Sa voix enjoué pleine de candeur me fit sourire quand elle m'adressa un "Bonjour, monsieur·dame le·a fegi-shi ! Il y a de la confiture aujourd'hui !" d'un ton rieur alors je m'asseyai auprès d'elle. Agée d'à peine huit ans, c'était la seule de la maison à avoir réagit avec tendresse quand elle avait constaté mon handicap la veille au soir, commençant à me décrire tout ce qui trouvait sur la table et se proposant de me passer les plats quand je le souhaitais. Preuve encore que le validisme était acquis et non inné.

Comme ce matin ses parents étaient de nouveau murés dans leur malaise, je profitai du petit-déjeuner pour lui raocnter quelque histoire que j'avais vécu ici et là, ce qui ravi au plus au point et la déçu quand je dû partir.

À l'hôtel de ville, le maire avait chargé quelqu'un me guider jusqu'à la deuxième témoin : une jeune fermière qui avait apperçu un gros rongeur étrange — un des supposés magifeste — dans un grenier trônant au centre du village.

"Pourquoi avoir construit un grenier ici ? Ça ne doit pas être très pratique."

"On m'a dit que c'est pour pouvoir le protéger si on attaque le village," me répondit la fermière. "Le grain, c'est précieux ici, vous savez."

Ça m'étonnait. "On vous attaque souvent ?"

Dans un bruissement de jutte que je suppoais être un haussement d'épaule, elle me répondit "Ya un temps, y'avait pas mal de guerres de vassaux dans la région. Nous on n'est pas impliqué là-dedans, mais y paraît que c'est important pour eux de prendre les villages fermiers."

"Vous êtes un village agraire ? J'ai vu que le village était entouré de forêt, où sont vos champs ?"

"Ils sont plus loin, en amont de la rivière. la forêt est pas très grande. Comment vous avez fait pour voir la forêt si vous êtes aveugle ?"

Et c'était reparti. Au moins, elle avait le mérite d'être direct, ce que je savais apprécier. Je lui fis un topo rapide sur ma malédiction, sans entrer dans les détails, et elle ne poussa pas les questions plus loin.

"Et pouquoi vous ne coupez pas la forêt ? Au moins en partie, pour rapprocher les champs ?"

Elle haussa de nouveau les épaule. "Y paraît qu'en cas d'attaque, ça permet de mieux se protéger."

J'étais perplexe quant à ce raisonnement. Ça fait beaucoup d'effort au quotidien, de lier le grenier et les champs, pour un avantage très ponctuel, voire inexistants en ces temps de paix, mais je n'émis pas de jugement à haute voix. Au moins le village était muni d'une plaissade, et avoir autant de bois à proximité avait ses avantages.

"Avant d'entrer," l'interpelai-je, "j'aimerais savoir : pratiquez-vous la magie ?"

D'aucun dirait que j'aurais dû attendre d'entrer pour pouvoir juger sa réaction au faciès, mais en réalité j'étais bien meilleur·e pour jauger les gens à la voix. Conséquence de la pratique et des avantages conférés par ma malédiction.

En guise de réponse, elle ricana. "Vous croyez que je serais paysane si je pouvais faire des trucs magiques ?"

C'était à mon tour de hausser les épaules. "Pourquoi pas ? Ça peut avoir ses avantages dans votre métier, même à petite échelle."

"Non, monsieur·dame le·a fegi-shi," ajouta-t-elle sur un ton plus sérieux, presque contrit. "Je suis absolument nulle en magie"

Plus j'y pensais, et plus j'estimais qu'un·e des villageois·es pratiquait la magie en secret. Des lieux publics comme une bibliothèque ou un grenier, voire même un atelier, pouvait servir de lieu confidentiel d'entraînement une fois la nuit tombée. Ma théorie étant que la magie pratiquée était faible et à grande répétition, un mage en pratique autodidacte était la meilleure hypothèse concernant le coupable.

Mais il falait que je voie les autre magifestes pour confirmer cette théorie. Je gravis quelques marches de pierre et entrai donc dans le grenier.

Cette fois-ci, je remerciai la pénombre ambiante qui aténua sensiblement l'éblouissement que je subissais chaque fois que la malédiction se mettait en trève.

L'endroit était vaste, pour un simple grenier à grain. Et pour cause, ce n'en n'était pas le seul usage. Il y avait aussi de la paille, du bois, quelques pierres de construction ainsi que de la chaux et du sable.

Je déplorais cependant que le bâtiment en lui-même n'était pas un plaisir pour les yeux. Il était grossier, les planche des murs ayant nombre d'aspérité. Seul le toit était travaillé pour empêcher la pluie de s'infiltrer, mais restait tout de même grossier.

Mais ce qu'on pouvait accorder aux villageois était une organisation minutieuse. Toutes les denrées était stockées dans des compartiments bien séparé, et tout était bien rangé et organisé. Il me serait assez simple de réaliser un inventaire complet en réstant à l'entrée.

"Où et quand avez-vous vu le magifeste ?" demandais-je en me tournant vers la paysanne.

Malgré sa voix qui me parraissait assez juvénile, elle était en fait bien plus âgée que ce que je pensais. Elle devait tourner autour de la quarantaine, et son corps portait les stigmates de son travail difficile. Des muscles saillants aux bras et aux jambes était visible à travers son vêtement serré, simple mais pratique. Elle tenait à la main un large chapeau de paille, laissant apparaître des cheveux rouge feu attachés en chignon. Elle avait le teint tané des agriculteurs et le visage congestionné dans un mimique fatiguée, les yeux ridés et piissé, et le rictus tiré en arrière.

"Deux fois, derrière les sacs de grain. Le matin à l'aube à chaque fois."

J'acquiesçais. "Vous pouvez me le décrire ?"

Elle se gratta la joue avec un ongle noir. "Comme un très gros rat, de la taille d'un chien. Mais avec le museau applatit." Puis elle ajouta "Vous savez, il fait très sombre le matin, alors j'ai pas pu voir grand chose. Et puis, il m'a foutu la frousse, ce truc."

De la taille d'un chien ? Ça ne dois pas être facile pour lui de se dissimuler.

"Et quand vous l'avez surpris, vous avez pu voir ou il allait ?"

Elle enroula les bras autour de son corps, gênée. "C'est ça le plus bizarre. Les deux fois il a disparu sous les sacs de grain. Comme volatilisé. Personne ne m'a crue quand je l'ai dit, et même en retirant tous les sac on n'a rien vu..."

Intrigué·e, je me dirigeais vers ledits sacs de grain. Avec l'aide de la fermière, nous les déplacîmes, mais effectivement, il n'y avait rien. Les sacs étaient intacts et bien fermés. Pourtant, le magifeste était bien là, sinon ma malédiction ne se serait pas levée. Je balayai la pièce du regard, songeant à un autre endroit où il aurait pu se cacher. Il y en avait plusieurs, les invesgtiguer tous prendrait du temps.

Cependant, selon ce que m'avait dit la paysanne, j'avais l'intime intuition qu'il était là, sous notre nez.

"Ouvrons-les, si vous le voulez bien."

Elle leva les sourcils. "Vous pensez qu'il se cache à l'intérieur ? Mais les sacs..."

"Je sais," la coupai-je en faisant un effort pour rester courtois·e, "mais les magifestes ne suivent pas les même règles que nous. Il n'est pas improbable qu'il puisse se faufiler à l'intérieur sans avoir à bouloter la jute."

Sans trop y croire, elle m'aida à ouvrir les sacs, en commençant pas ceux du fond. Ce que nous découvrîmes fut une surprise.

"Vous stockez du grain vert ?" l'interrogeai-je, contemplant les semence qui était bien trop jeune pour être réduit en farine.

"Euh... non." répondit-elle, surprise. "C'est pas normal ça."

Nous ouvrîmes quelques autre sacs, et la plupart d'entre eux —ceux les plus éloignés de l'entrée— était également verts. Les autres contenait du grain parfaitement normal.

"C'est bien ce que je pensais," conclus-je. "Le magifeste fait regresser les grains mûrs pour les rendre verts."

Je me tournais vers la paysanne. "La magie employée est donc un sort de Vie consistant à faire pousser des plantes. Assez peu puissant, je dirais."

Elle afficha une moue songeuse. "C'est embêtant, ça. On vient de perdre une partie de notre récolte."

Je fis une rapide estimation. Six sacs sont affectés, sur les seize qui sont face à nous. Cinq autres compartiments contiennent aussi du grain, sains après un rapide examen, ce qui fait un peu plus de six pourcent.

"Vous avez de la chance, c'est assez peu sur le total que possède ce grenier. Mais ça pourrait devenir conséquent si on n'arrête pas le magifeste."

Elle croisa les bras dans un rictus embêté, fixant les sacs contaminés.

"Cependant," ajoutai-je, "Je n'ai pas vu le magifeste lui-même."

"C'est un problème?", me demande-t-elle.

Je réfléchis un peu. "Pas forcément, mais le voir et comprendre son comportement me permettrai de mieux savoir comment il a été engendré et comment s'en protéger."

Elle me fixa d'un air perplexe.

"Par exemple," je reprends, "qu'est-ce qui le pousse à sortir des sacs si c'est bien là qu'il se cache ? A priori, il pourrait corrompre le grain de l'intérieur, non ? Mais si c'était le cas, il serait presque en permanence invisible et vous ne l'auriez jamais vu. Vous comprenez ?"

Elle secoue la tête. "Pas vraiment, mais je vous fait confiance."

Je repris mon examen des sacs et des lieux.

Après un certain temps, je remarquais quelque chose d'intrigant.

"Est-ce que les planches du grenier ont été réparées récemment ?", demandais-je à l'agricultrice.

"Pas que je sache, pouquoi ?"

Je pointais le sol, à l'endroit où se trouvaient les sacs de grain vert que nous avons poussé tantôt. "Regardez, ces planches là sont beaucoup plus récentes que celles autour. On dirait presque que le bois a été coupé et poncé la semaine dernière."

Elle s'agenouilla près de moi pour constater mes dires. "C'est bizarre, cette planche-là est même à moitié récente, à moitié vieille." Elle se tourna vers moi, les sourcils froncés. "Ça ne fait aucun sens !"

Je lui souris. "Sauf si..?"

Son visage s'éclaira. "Sauf si c'est le magifeste qui les fait rajeunir ! Bien sûr !"

Je hochais la tête. "Tout à fait. M'est avis qu'il ne disparaît pas dans les sacs, mais à travers le bois. C'est pour ça que même en fouillant les sacs vous n'aviez rien vu."

Elle se redressa. "Attendait un peu... Quand j'avais dit aux autres que j'avais vu une créature bizarre ici, on avait ouvert les sacs pour voir s'il se cachait pas dedans. Si le grain était vert à ce moment-là, on l'aurait vu !"

Je me remis debout à mon tour. "Certes, mais c'était il y a au moins une semaine, non ? Au moins deux même, si j'en crois ce que m'a dit le maire." Elle hocha la tête en signe d'approbation. "Les effets du magifeste prennent toujours du temps à survenir, il est probable que le grain n'était pas corrompu à ce moment-là, mais que depuis il a eu suffisamment de temps pour le faire régresser de manière plus visible."

Elle repris son air circonspect. Je ne suis pas sûr·e qu'elle comprenait tout, mais ce n'était pas grave.

"Je pense que le magifeste se cache sous le grenier," expliquais-je, "je vais y aller pour le voir et le forcer à bouger. Vous, vous restez ici des fois qu'il retraverse le plancher, pour voir s'il ne va pas se cacher ailleurs.

Je procédais à sortir, me coupant de mon sens de la vue pour une courte période, jusqu'à ce que je me glisse sous les fondations en bois du bâtiment, qui était surélevé du un sol en terre.

Il faisait sombre, et je mis quelques minute à m'accoutumer et à discerner une forme sombre, suspendue à l'envers, collée au plancher, à l'intersection de deux poutres.

Le magifeste ressemblait effectivement à un gros rongeur, sans visage ni oreilles, mais à la place un labyrinthe de creuset, comme un amat de peau amalgamé en des dizaines de plis sinueux. Après une observation attentive, je remarque que sa fourure n'est pas composée de poils mais de longues échardes de bois gris. Il possède une très courte queue qui rappelle un épi de blé, mais de la même couleur que le reste de son corps, à savoir un gris plutôt sombre.

"Vous êtes prête ?" je crie à la paysanne à l'étage. "J'y vais."

Je saisis une poignée de terre que je jette d'un geste sec en direction du magifeste, qui se met aussitôt à détaler, toujours suspendu au plancher du grenier, en direction de l'extérieur.

Il n'essaie pas de retraverser le bois, mais à la place sors à découvert à de se jeter contre le mur en bois d'une habitation mitoyenne et de disparaître, ce qui eu pour effet immédiat de m'aveugler complètement.

"Merde," murmurai-je.

Je me précipitai avec prudence à la porte de ladite maison pour y frapper trois coup. Comme je m'en doutais —et je l'espérais—, personne ne me répondit. Le magifeste devait sans doute chercher la solitude et attendre la nuit pour verdir le grain, mais il fallait que je m'assure que personne ne se trouverait face à un rat mostrueux de la taille d'un bouvier.

L'agricultrice, attirée pas mon chahut, trotinnait vers moi pour savoir ce qui se passait.

Après une brève explication, je lui dictais la marche à suivre.

"Donc, pour vous résumer tout ce qu'on a appris, le magifeste a pour but de faire verdir le grain dans ce grenier. Il est capable de passer à travers le bois sans problème, et cherche la solitude absolue pour œuvrer. Pour vous en débarrasser, il n'y a qu'une seule solution : déplacer les sacs de grain loin de ce grenier, en en laissant juste une poignée sur le sol. Une foiis qu'il aura fait suffisamment régresser ces grains-là, il devrait disparaître. Ce sera facile à vérifier vu qu'il se cache juste sous le plancher. Vous avez bien compris ?"

Je sentis dans la voix de la paysanne qu'elle faisait la moue. "Ça fait beaucoup de travail de tout déplacer et ça ne sera pas pratique. On a bien deux autres greniers, mais pas beaucoup plus petits que celui-là, et je suis pas sûre qu'on pourra y mettre tous les sacs."

Je secouai la tête. "Alors vous les mettrez ailleurs. Ce n'est que temporaire."

"On ne pourrais pas juste poster quelqu'un en permanence dans le grenier ? Vous avez dit que le magifeste ne fera rien s'il y a des gens présents."

Je fis derechef un geste de dénégation. "Ça ne fera que le mettre en attente. Il ne disparaîtra pas tant qu'il n'aura pas verdit tout le grain du grenier, donc ne laisser qu'une poignée de grains et le laisser faire sera la solution la plus rapide et la moins coûteuse."

"Et que se passera-t-il si on enlève juste tout le grain ?", me demanda-t-elle, sincèrement curieuse.

Je haussais les épaule. "Je ne sais pas. On ne peut pas savoir. Si vous faites ça, le magifeste tombera alors dans des comportements impredictible, ce qui peut vouloir dire sa disparition ou bien des comportement encore plus destructeurs. Vous ne voulez pas prendre ce risque."

Elle soupira. "Et combien de temps sa prendra ?"

Je réfléchis un instant. "Si on laisse une poignée de grains déjà verts, vu la vitesse de régression, je dirais moins d'une semaine. Une demi-dizaine de jours ? Mais je puis me tromper, c'est impossible à prédire avec exactitude."

Elle s'étira, ce qui fit craquer ses épaule engourdies. "Très bien, je vais dire ça aux autres. Merci, monsieur·dame le·a fegi-shi".


Je demandai à la fermière de m'accompagner à mon logement pour que je puisse déjeuner, mais nous fûmes interceptées par le maire.

"Puis-je vous emmenez déjeuner, fegi-shi ? Il y a quelque chose dont il faut que nous discutions."

J'acquesçai, et il me guida jusqu'à sa propre demeure. Nous papotons un peu sur le chemin, lui me demandant où j'en étais dans mon enquête et moi lui decrivant les directives que j'avais déjà donné, mais restant évasiv·e sur mes suspicions concernant le coupable.

C'est quand fûmes installés en terrasse de sa demeure et qu'il me servit un sobre coq au vin réchauffé de la veille qu'il aborda le sujet dont il voulait me parler.

"Nous n'avons pas encore discuté de votre paiment, n'est-ce pas ?"

J'acquiesçai en mastiquant. "Ça m'a surpris·e qu'on n'en discute pas hier, mais vous aviez l'air de vouloir que je fasse mes preuves. Mais je suis d'accord qu'il vaut mieux aborder le sujet au plus tôt."

"Très bien, très bien," dit-il en me servant un verre de bière. "Et bien, dites-moi, quels sont vos honoraires ?"

"J'opère sur une base de paiement journalier, de 22 Roy par jours, en comptant le temps de voyage pour les missions mandatées —ce qui est le cas ici— avec un surplus pour le logis et le couvert —ce qui n'est pas votre cas, vu que je suis logé·e et nourri·e. Avec les six jours de voyage aller-retour, estimant qu'il me faudra encore deux jours pour boucler l'affaire, totalisant neuf jours au total —en comptant aujourd'hui— on arrive à un total estimé de... 198 Roy. Dans votre monnaire, avec le cours du change actuel, ça fera..." Je calcule rapidement dans ma tête, "1650 Rials. Ou 429 Roue du Guide, si c'est ce que vous utilisez ici."

Il me répondit d'une voix basse. "Non non, bien qu'on est près de la frontière expressionniste, notre devise est toujours le Rial."

Cependant, et ce depuis la veille, un détail me contrit. "Bien sûr, il serait aimable de la part de la ville que votre fille soit dédommagée pour son accueil. J'applique usuellement un tarif de douze pourcents pour le logis. Ça lui ferait à peu près 200 Rials en guise de remerciement."

J'avais arrondis cette dernière somme au supérieur, mais on n'était pas à deux Rials près.

Le maire ricana jaune avant de prendre une gorgée de bière. "J'avais espéré que vous loger allègerait un peu le prix, pour tout vous dire."

Je ne pus empêcher un sourire narquois de naître sur mon visage. "Voyons, monsieur le maire, héberger un étranger, qui plus est avec un handicap, c'est pas forcément aisé. Je n'ai pas envie de l'incomoder, c'est quand même la moindre des choses..."

Sa chaise grinça quand il ajusta sa position dessus. Je sentais sa gêne d'ici.

"Sinon," repris-je, "il y a bien des tarifs préférenciels que j'applique quand ce sont des particuliers peu fortunés ou, comme ici, des villages loin des richesses citadines qui requiert mes services. Mais j'aurais une condition à cela."

Il se redressa sur son siège. "Laquelle ?"

"Je vous applique le surcoût du logement et du couvert, que j'irai moi-même remettre à votre fille."

Il posa ses couvert. "Ce qui nous amènerait à combien ?"

"En appliquant une dispense de trente-deux pourcent, plus les douze pourcent de logis, ça nous fait un total de 1320 Rials pour le séjour complet, si la situation est effectivement résolue après-demain."

Il gratta bruyamment sa barbe. "Effectivement, c'est une sacrée ristourne. Très bien, j'accepte. Merci, fegi-shi, pour votre compréhension."

J'entendis la vaisselle cliqueter dans ce que je suggérer un geste pour me serrer la main, ce que je lui rendis.

"À quel point êtes-vous confiant·e de boucler l'affaire avant après-demain ?" demanda-t-il en reprenant sa dégustation.

"Plutôt confiant·e. Il ne me reste que deux lieux à visiter, après quoi je pourrai réfléchir à une manière de trouver le ou la coupable. Ça dépendra aussi beaucoup de votre manière de gérer cet aspect-là."

Je m'étirai sur ma chaise. "Normalement, mon travail s'arrête une fois que j'ai donné toutes mes instructions pour faire partir les magifestes, mais ça ne vous servira à rien si la personne qui pratique la magie régulièrement en cachette ne s'arrête pas."

Il resta pensif à cette dernière remarque, et nous finîmes le repas sur des banalités.


J'essayai de me faire une carte mentale de tous les lieux incriminés, avec les deux que j'avais visité et les trois dont on m'avait donné la position.

Les deux lieux les plus centraux étaient le grenier que j'avais visité ce matin, et une habitation proche. J'avais donc choisi cette dernière pour continuer l'investigation

Je fut guidé·e sur place par le maire, qui me quitta rapidement pour continuer ses affaires.

Ce fut un homme dans la soixantaine qui m'ouvrit. Je me présenta, et il me fit entrer.

Je recouvrit la vue une fois le seuil franchi —je pourrais m'habituer à ça— et je pus constaté la mine fatiguée de l'homme que j'avais déjà senti dans sa voix.

"Est-ce que vous voulez une tasse de thé ?"

Ça sonnait presque comme une supplication, comme si le thé qu'il m'offrait était pour lui un répit attendu depuis des éons.

J'acquiesçai, mais constata que nous ne nous rendions, plutôt que dans son salon, dans la cuisine.

"C'est une grande maison que vous avez là," remarquai-je en constatant l'architecture moderne typique du Deuxième Âge, séparant les pièces à vivre, et qui contrastait avec les grands foyers en plain-pied du typique des bâtisses du Premier Âge.

Il haussa les sourcils. "Oui, pardon. Je vous ferai bien passer dans le salon, mais..."

En remontant le petit couloir qui distribuait chacune des pièces communes, il œilla à travers une porte. Le salon en question était un petit capharnaüm, tous les meubles étant repoussés dans un coin comme pour barricader complètement un angle de la pièce.

"Venez, je vais vous expliquer."

Malgré ses mots, il me servit le thé en silence.

Bous fûmes silencieusement rejoint par son mari, qui avait l'air un peu plus jeune que lui — ou bien était le temps qui l'érodait moins, le premier homme était clairement un travailleur manuel, tandis que le second avait l'apparence plus délicate d'un bureaucrate ou d'un greffier.

L'époux était de visu moins fatigué que son mari, mais était muré dans un silence déprimé. Et surtout, une longue cicatrice rose barrait son visage, de l'oreille jusqu'au menton.

"Nos enfants sont allés vivre chez leur tante," m'expliqua enfin l'homme qui m'avait accueilli·e, "l'ambiance était malsaine pour eux. Et on aurait fait pareil si ma sœur avait assez de place chez elle."

L'époux sorta finalement de son mutisme. "On est très heureux que vous soyez là, maître·sse des magifestes. Ça en devient insupportable."

Je posai ma tasse vide que l'homme s'enquit de remplir de nouveau.

"Et si vous racontiez ce qui vous oppresse ?" proposai-je, l'empathie pour leur état rendant mon attente presque insupportable.

L'époux souffla, exaspéré comme la réalité le rattrapait, et l'homme se leva et se dirigea simplement vers un des coins de la pièce.

"J'aurais du mal à vous expliquer, le mieux serait que vous veniez voir."

En me levant, j'œillai l'époux. Il fixait le fond de sa tasse en la serrant fort. J'étais presque sûr·e que sa main tremblait.

L'homme me désigna la rainure qui joignait les planches qui formaient l'angle du mur. Ou plutôt, l'absence de rainure, ce qui était pour le moins saugrenu. C'était comme si l'angle était continu, comme si la planche était en angle droit.

"Hmm..." soufflai-je en m'approchant de cet étrange artefact architectural.

"Pas trop près!" rugit l'homme, me tirant par l'épaule.

"Pourquoi pas?" le pressai-je en me tournant vers lui.

L'homme leva zieuta le plafond avant de s'expliquer. "Il y en a dans tous les angles de la maison. Enfin, du rez-de chaussée. Un genre de long fil qui joint les planches, et qui est collé de très près au bois."

Je vois, ce n'était donc pas une lubie architecturale élaborée, mais le magifeste, qui se collait dans ces rainures et de la même couleur que le bois. Je leva également les yeux au plafond, pour constater qu'effectivement, tous les angles de la pièce était 'continus' comme celui que je venais de voir.

L'homme continua. "On a essayé de le décollé, mais le truc est trop élastique et ne se casse pas."

Mais un détail m'intriguait. "Comment vous vous êtes rendus compte que c'était un magifeste et pas autre chose?"

À mes mots, l'époux se leva et quitta sa pièce, pour remonter à l'étage.

L'homme attendit que son mari soit parti. "On a trouvé sa tête. Enfin, ce qu'on pense être sa tête."

Je commençait à deviner ce qu'il s'était passé, mais je le laisser continuer.

"On arrivait pas du tout à la décoller. Alors, on a essayer avec une flamme et..."

Du bras, il mima le mouvement d'un fouet, la main droite et les doigts collé, dont la mèche viendrait claquer près de mon visage.

D'où la cicatrice...

"Je vois, je vois. La tête est dans le salon, n'est-ce pas ? Ça vous dérange si je vais la voir ?"

"Euh..."

"Vous, restez ici. Ne vous inquiétez pas, je ferai attention."

Il hocha la tête, inquiet pour moi mais soulagé que quelqu'un vienne finalement s'en charger.

Avant de quitter la pièce, je lui empruntai un couteau de cuisine.

En pénétrant dans le salon, je me dirigeai d'abord vers un coin qui n'était pas barricadé. Le magifeste-rainure était bien là aussi, et j'entrepris de le décoller avec la pointe du couteau.

Après un effort assez conséquent, j'y parviens. On aurait dit un joint de mur, mais pas en torchis ni en ciment, il était très caoutchouteux. Je passa le fil de la lame en dessous du long fil qui composait son corps, mais je ne parvint pas à le couper, il glissait sur la lame.

Avec une extrême prudence, je pressai avec deux doigts de part et d'autre de la lame, pour le faire tenir en place et forcer la coupe. Mais il était trop résistant.

Je tentais te tirer dessus pour le décoller dans toute sa longueur, mais je n'étais pas assez fort·e pour le décoller de plus d'un quart de disse. Avec plusieurs personnes fortes, cependant, on pourrait peut-être réussir à le décoller dans toute sa longueur.

J'étudiai l'angle que formaient les deux murs avec le sol. Hmm... Comme je le pensais, le corps se séparait en deux au niveau du sol, pour couvrir les rainures qui longent le plancher. Tout décoller serait un travail compliqué malgré tout, surtout avec le danger que représentait la tête.

Bon, j'avais de toute évidence affaire à un magifeste de type singulier. Donc toute mon expérience était à peu près inutile, comme à chaque fois que j'étais confronté·e à un singulier. Je ne savais pas comment il pouvait 'fouetter' les gens comme l'homme me l'avait mimé, mais je n'avais pas envie de le découvrir. Il fallait que je trouve quel était son but, et comme pour tous les autres, décrire un plan pour le faire disparaître de lui-même.

Je marchai jusqu'à la barricade de meuble et commença à essayer de passer en écartant les meubles. L'homme vint sur le seuil de la pièce pour observer mon travail, la curiosité l'emportant sur la prudence. Mais je le laissai, il ne risquait rien là où il était.

La 'tête' du magifeste était simplement de globes noirs, comme des yeux de poissons, disposés verticalement à quelques vidisses de distance, soit très proches. Je savais que le feu déclenchait une réaction agressive, mais rien de plus.

"Vous avez une planche, ou un plat, en métal ou en bois, que je pourrai utiliser?" demandai-je à l'homme. "C'est pour me protéger le visage."

Il hocha la tête et revint avec un plat à tarte en cuivre.

Je m'agenouillai près du coin où se trouvait la tête, leva ma protection de fortune près de mon visage et, en tentant de garder une distance respectable, entrepris de décoller le corps du magifeste.

Je fini par y parvenir avec mon couteau, et commença à le remonter le long de la rainure, me rapprochant de la tête.

Le magifeste se réagit pas, mais près de la tête, il était tellement dur à décoller que je n'y parvins pas jusqu'au bout.

Je laissais le corp reprendre sa place, pour observer de nouveau la tête. Et si..?

Je me protégeai de nouveau, et cherchai à piquer les 'yeux' avec la pointe de mon couteau. J'y parvint après quelques essais, mais là non plus ça ne provoqua aucune réaction de la part du magifeste.

En marge de ces observations, une hypothèse commençait à se former dans ma tête.

"Est-ce que vous avez une hache ?"

L'homme haussa un sourcil. "Vous êtes sûr·e ? Ça a l'air dangereux..."

"Je cherche juste à confirmer mon hypothèse. Et même si c'est risqué, ça n'a pas vraiment l'air mortel."

L'inquiétude de l'homme était palpable.

Ce couple vivait dans la peur depuis plus d'une semaine. L'évènement qu'il ont subit était impressionnant, de même que l'était la blessure de l'époux, mais en réalité le magifeste était plutôt inoffensif. La blessure était de toute évidence très superficielle, mais si elle avait beaucoup dû saigner. À part perdre un œil, si vraiment la malchance était de leur côté, il n'y avait aucun risque pour leur vie.

Et si mon hypothèse se confirmait, leurs mesures de prudence étaient de toute manière inefficace.

"J'ai un hachoir, si ça vous convient."

Je secouai la tête. "Je préfère un outil avec un manche plus long. Une hache de bûcheron serait le mieux, mais un fourche, voire un faux, pourrait fonctionner."

"On peut faire le tour des voisins, je suis sûr qu'on pourra trouver ça."

Je lui lançai un sourire triste. "Vous pouvez vous en charger ? C'est un peu long à expliquer, mais à l'extérieur, je suis aveugle."

Il haussa les deux sourcils.


En arrivant chez la fille du maire, peu avant le repas, je fus accueilli par un silence circonspect.

J'appelai la petite fille près de moi, et lorsqu'elle s'avança timidement, je sortis de mon sac un petit chariot de bois à roue mobiles.

"Je voulais te dire merci pour ton accueil et ton assistance. Alors, je t'ai acheté ça, tu l'as bien mérité."

Elle émit un cri de surprise, et m'arracha le jouet des mains comme s'il était en or.

"Dis merci à la personne, chérie." gronda sa mère.

Elle me remercia poliment, puis fila jouer dans sa chambre.

Je tendis la tarte aux pommes que j'avais posé à côté de moi dans le vestibule au couple d'hôtes.

"Et ceci est pour vous. Merci beaucoup pour votre accueil."

La tarte quitta mes mains. "De rien, c'est bien normal, étant donné la situation."

Nous nous mîmes à table et pour la première fois, ce fut la petite fille qui me raconta des histoires d'aventure, avec pour protagoniste le fameux chariot qui était tantôt un marchand itinérant, tantôt une guerrière à cheval lors de la Grande Guerre, ou encore un poney sauvage qui vivait des histoires d'amour.

"J'ai discuté avec votre père," dis-je au couple une fois que l'attention de la petite était absorbée par la tarte aux pommes. "Pour vous résumer, vous serez dédommagés pour votre accueil."

Un ange gêné passa. "Vous savez," me dit timidement la femme, "ce n'est pas nécessaire, c'est à nous de vous payer pour vos service, et le logis et le couvert sont la moindre des choses."

Je balayai sa réplique de la main. "Mes tarifs sont standardisés, et ils incluent le lit et l'assiette. C'est donc normal que je vous remette votre part pour votre participation."

Je l'entendis inspirer pour contester, mais je l'interrompis. "Monsieur le maire votre père est d'accord, et je vous avoue que c'est plus simple pour tout le monde ainsi. S'il-vous-plaît, ça me gênerait beaucoup que vous refusiez."

Après un autre court silence, le couple assentit.

Ce petit mensonge blanc eu l'effet désiré, car pour la fin du repas et pour le thé, le couple fut beaucoup plus ouvert et les discussions furent beaucoup plus leste, échangeant même quelques rires franc.

Je ne leur avait pas mentionné la somme, car l'accord que j'avais eu avec le maire n'était qu'un devis basé sur une estimation du temps de travail qu'il me restait, mais savoir que leur générosité forcée allait être compensée avait suffi à alléger leur cœur.


Le lendemain fut assez banal. Je passai la mâtiné à inspecter l'atelier de tailleur, où un magifeste ressemblant à un croisement entre un gecko et un mille-patte se déplaçait dans les murs, comme un long serpent muni d'une multitude de pattes à ventouse. Il passait son temps à faire craquer les planche qui formaient les cloisons de l'atelier. J'en ai déduis qu'il tentait de les fragiliser ou des les casser, les sorts l'ayant engendré visant probablement à réparer des poutres ou des planches en bois.

Pour celui-là, je n'avais pas de solution miracle, mon meilleur conseil étant de laisser des petites planchettes neuves çà et là dans les murs, espérant que le magifeste se concentre sur lui plutôt que sur celles des murs avant de disparaître. Il n'avait pas l'air de s'attaquer aux structures porteuses, donc bien que les dégâts risquaient d'être couteux à réparer, il n'avait pas de danger immédiat. À surveiller bien sûr, j'ordonnai au maître de l'atelier d'abandonner le bâtiment s'ils constataient la moindre fissure dans les poutres porteuses.

L'après-midi ne m'appris pas grand-chose de plus. L'habitation que je visitai était la plus excentrée de toutes, mais de peu. Le problème que la famille rencontrait était des hordes de petits insectes ressemblant à de petits disques blancs qui s'aggloméraient sur toutes les flammes et sources de chaleur de la maison pour les éteindre. Ce qui avait fait paniquer la famille était chaque matins, ils se retrouvaient frigorifiés avec les magifestes les couvrants de pied en cap.

La famille avait temporairement déménagé, de peur de fini en hypothermie —et en vérité absolument terrifiés d'être couvert de ses bêbêtes dont les plus grosse faisaient la taille de ma main— mais en réalité ces magifestes-là n'était pas réellement dangereux, ne faisant pas refroidir les objets et les personnes qu'il touchaient plus bas que la température ambiante.

Il me fallut cependant un peu de temps pour comprendre pourquoi il n'avaient pas disparu d'eux-même, la maison abandonnée n'abritant pas de source de chaleur. C'est en comprenant que le simple rayonnement du soleil passant à travers les fenêtres suffisait à faire chauffer le mobilier métallique qu'il m'apparut que la solution était très simple : fermer tous les volets.

C'est ainsi que, le soir de mon troisième jour de séjour, je me retrouvai à dîner avec le maire chez sa fille et son mari, pour faire le bilan de mon travail et aussi un peu fêter la fin de leur calvaire.

"Demain j'irai faire inscrire le bilan de mes trouvailles chez la scribe," décris-je en mangeant. "Ça vous permettra d'avoir un rappel des procédure à suivre au cours des prochaines semaines. Ça me permettra aussi d'écrire mes conclusions sur les différents sorts ayant engendré tous ces magifestes et de vous transmettre mes conjectures sur la puissance du mage que nous recherchons. Je partirai donc après-demain à l'aube."

Le maire fut surpris. "Je pensais qu'à l'issue de votre enquête vous auriez été capable de nous donner le nom du coupable. C'est pas comme ça que vous procédez d'habitude ?"

Cette remarque me fit sourire. "Oulà, non ! Je suis spécialiste des magifestes, pas des enquêtes de proximité ! À moins que vous ne souhaitiez payer une semaine d'honoraire en plus !"

Ma petite boutade fit rire jaune le maire.

"Blague à part, mes conjecture devraient vous être très utiles pour comprendre qui a lancé la magie, mais surtout je vais vous donner des recommendations à transmettre au concerné —voire même pourquoi pas au village tout entier— pour que cela ne se reproduise pas. Et s'il vous plaît, ne traitez pas le mage qui a commis tout ça comme un criminel. Il n'a brisé aucune loi ni fait aucun mal délibéré. Il faut juste l'éduquer un peu."