Littérature:Autres/La lance et le bouclier

De Magnus Codex


La lance et le bouclier
RecueilAutres
TypeNouvelle
ÉtatBrouillon

La lance et le bouclier

La Lance Inflexible

Xeltes était épuisé. Cela faisait plusieurs jours que la traque durait. Si elle ne s’achevait pas aujourd’hui, il devrait rentrer au village, faute de provisions. Cette pensée lui était insupportable, il ne pouvait pas laisser le monstre errer dans la région un seul jour de plus.

Il posa sa pierre à aiguiser et testa le fil de sa morpho-hache. Ce type d’arme était plus difficile à manier que les autres, mais pouvait se montrer d’une puissance redoutable. Le chasseur n’avait appris à s’en servir que récemment, mais en avait rapidement acquis les bases. Contrairement à la plupart des armes, la morpho-hache nécessitait de changer fréquemment de posture, ce qui est techniquement complexe et requiert une concentration extrême. L’avantage, c’est qu’elle permet de s’adapter rapidement à n’importe quelle situation. De plus, ce bijou de modernité avait des attaques élémentaires bien plus efficaces que la plupart des armes, cela grâce à de petites fioles que l’on insère à la base de sa poignée.

Quand il jugea que son arme était suffisamment aiguisée, Xeltes prit son repas. Il ne lui restait qu’une petite ration, mais peu lui importait : avant un combat décisif, mieux valait rester léger. Une fois terminé, Xeltes amorça son arme, puis leva le camp.

Le monstre qu’il pourchassait était unique. De tous les nargacugas, celui-là était le plus discret, le plus rapide et le plus fort. Cela faisait plusieurs jours que Xeltes le chassait, et ils s’étaient affrontés de nombreuses fois. À force de combats, Xeltes avait appris à connaître chacun de ses mouvements. Il savait à présent comment esquiver chaque assaut de la bête et connaissait toutes les failles de sa défense. Après plusieurs jours de traque, il avait également appris à connaître ses habitudes, les endroits où il se reposait, les points d’eau où il se désaltérait. Le problème, c’est que la créature avait également su apprendre de leurs confrontations. Lors de leur dernière rixe, elle avait été capable d’éviter chaque coup que Xeltes avait tenté de lui porter, de la même manière que le chasseur avait esquivé tous les siens. Au final, les deux adversaires se connaissaient si bien qu’il était devenu extrêmement ardu pour l’un comme pour l’autre de porter un coup.

Ce problème taraudait le chasseur. De ce fait, leur prochain affrontement promettait d’être affreusement long et le monstre était effroyablement endurant. Xeltes, ayant utilisé tous les pièges qu’il avait pris soin de préparer avant de partir en chasse, devait trouver un autre moyen d’immobiliser le Nargacuga dans le but de l’achever, sans quoi la bête finirait à l’usure par prendre le dessus.

Recouvrant de ces pensées, Xeltes plongea dans la forêt épaisse. Il se dirigea avec assurance vers une clairière qu’il avait appris à connaître au cours de sa traque. Il s’agissait d’un lieu au cadre féérique, au pied d’une falaise de laquelle s’écoule une majestueuse cascade formant sur le sol un tapis d’eau claire et où flottent paisiblement d’innombrables fleurs tombées des cerisiers alentours. La nappe florale embaumait la clairère d’un parfum doux et enivrant, et la couleur rosée qui ceignait l’endroit et tapissait son sol donnait l’impression que l’on était passé dans un autre monde. Cette beauté plurisensorielle était couronnée par la douce mélodie de l’eau s’écoulant comme de l’ambroisie le long de la falaise et dont l’echo répondait au chant des oiseaux posés sur les arbres alentours.

Mais aujourd’hui, cet éden bucolique allait devenir un tombeau. À mesure que le chasseur s’en approchait, il se faisait de plus en plus prudent et se montrait le plus discret possible. Lorsqu’il arriva aux abords de la clairière, il se tapit dans un buisson. Comme il s’y attendait, la bête était là.

Le monstre s’abbreuvait paisiblement à l’eau de la cascade, comme il le faisait chaque jour à cette heure précise. Sa peau écailleuse était d’un vert profond, ce qui lui avait valu de le nom terrifiant de “Fléau Émeraude”. Sa poitrine se soulevait doucement au fil de sa respiration à mesure qu’il lapait. Sa queue hérissée d’ergos se balançait négligemment derrière lui, troublant l’onde paisible du tapis aqueux. De temps en temps, il relevait la tête pour observer de manière vigilante les alentours. On pouvait alors voir la longue cicatrice que Xeltes lui avait infligé lors de leur tout premier affrontement, privant le monstre d’un oeil.

Invisible, Xeltes attendit longtemps le moment idéal. Un chasseur doit savoir se fier à son instinct sans céder à la témérité, surtout quand il a l’avantage de la surprise. Quand il sentit le moment opportun, il bondit avec fureur hors de sa cachette et se jeta sur la bête. Celle-ci, dotée de réflexes hors du commun, réagit avec fulgurance pour faire face à son agresseur et esquiver de justesse la charge. Xeltes enchaîna alors rapidement et le combat s’engagea avec fougue.

L’affrontement fut long et difficile. Par la technique seule, aucun ne pouvait triompher. À l’endurance, ce serait sans aucun doute le monstre qui vaincrait. Xeltes devait absolument trouver une faille avant que la fatigue ne se fasse sentir. Jouant d’assauts et d’esquives, plus concentré que jamais, il observait attentivement le monstre et ses mouvements, prêt à saisir l’opportunité qui lui donnerait la victoire.

Après de longues minutes de combat furieux, il commença à sentir l’épuisement lui picoter le bout des doigts. Il était encore vaillant, mais dans peu de temps un engourdissement fatal se saisira de ses avant-bras. Puis, subitement, l’occasion qu’il attendait depuis le début se présenta. Pris de témérité soudaine, le Nargacuga brandit sa queue comme un épieu alors qu’il était encore engagé de près avec le chasseur. Il tentait certainement de surprendre son adversaire par une attaque de queue alors que celui-ci s’attendrait plausiblement à une attaque de gueule. Le coup ne porterait probablement pas, mais le monstre espérait sûrement pouvoir contre-attaquer rapidement avec les crocs et les griffes et peut-être enfin blesser le chasseur. De ce fait, il projeta violemment son épieu caudal en avant, visant le torse de Xeltes, comme pour l’empaler. Mais à la grande surprise de la bête, Xeltes, plutôt que d’esquiver, se laissa transpercer de part en part. Surprenant ainsi son ennemi qui avait dû plaquer son buste sur le sol pour brandir sa queue, le chasseur put avoir l’ouverture qu’il cherchait depuis le début : le visage. D’un coup de hache vigoureux, il arracha l’unique oeil valide du monstre qui, désemparé, lâcha prise et commença a paniquer. L’appendice de la bête s’agita furieusement et Xeltes fut projeté sur le sol aqueux dans un craquement d’os sinistre. Chargé d’adrénaline, le chasseur se releva bravement et se jeta sur le monstre. Aveugle, celui-ci ne put éviter l’assaut. Xeltes plongea son épée dans le poitrail du monstre et y déchargea intégralement la fiole de son arme. L’estoc se termina par une sanglante explosion qui projeta la bête en arrière et la fit choir sur le flanc. Elle tenta vainement de se relever, à bout de force, mais en vain. Puis, dans un ultime rugissement agonique, elle s’écroula pour de bon.

Le monstre était enfin vaincu et la paix revenue. Alors que tapis d’eau à ses pieds prenait une couleur vermillon, le chasseur chut sous l’affliction de la fatigue, aussi bien physique que mentale. Sur le dos et inerte, il était incapacité par le poids de l’épuisement et de son armure. Un silence de mort s’abattit sur la clairière tandis que Xeltes perdait lentement connaissance. Sa dernière vision fut celle d’une douce pluie de pétales qui, telles un linceul porté par le vent, recouvrait doucement son corps.

Quand Xeltes repris conscience, il était au village. On l’avait allongé sur un lit, dans une case. Il y avait des fruits et de la boisson à son attention sur une table basse. Las et un brin intrigué, le chasseur se dressa sur son séant, s’assit au bord du lit et commença à se restaurer. Les courbatures dans ses membres et la grave blessure en travers de son abdomen le faisait terriblement souffrir. Il avait l’impression de subir mille supplices à chaque mouvement qu’il faisait. Néanmoins, au bout de quelques minutes passées à se nourrir, la douleur commença un peu à s’effacer et les tiraillements lancinants s’estompèrent sensiblement. Tandis qu’il recouvrait peu à peu ses esprits, il jeta un coup d’oeil rapide en direction de la tenture qui servait de porte d’entrée. La lumière torride de l’extérieur passant à travers l’embrasure révélait que le soleil était haut dans le ciel. Xeltes était resté inconscient toute la nuit et une bonne partie de la journée.

Au bout de quelques minutes, quelqu’un écarta le rideau de l’entrée, éclairant la pièce d’un violent rai de lumière. Le visiteur était une jeune fille portant l’uniforme bariolé des aides-soignants du village. Elle expliqua d’une voix douce qu’on l’avait chargé de rester au chevet du héros et de faire en sorte que sa convalescence se passe bien. Elle ajouta que s’il avait besoin de quoi que ce soit, elle ferait en sorte de le lui prodiguer. Après l’avoir sincèrement remerciée, Xeltes s’empressa de poser la question qui lui brûlait les lèvres depuis son réveil : qui donc avait bien pu le sauver ? Après tout, le combat avait eu lieu dans le fin fond de la forêt et son équipement était bien trop lourd pour être traîné par un seul homme. La jeune femme lui expliqua qu’un brave palico qui passait par hasard près du lieu de l’affrontement avait vu la scène et avait décidé d’aider le chasseur blessé. Il avait fait appel à une poignée de ses congénères qui vivaient non loin dans une tanière recluse, avait bricolé un brancard improvisé et l’avait consciencieusement ramené au village.

Après être resté quelques instants interdit, Xeltes se leva demanda à ce qu’on le conduise prestement à ce palico pour qu’il puisse le remercier en personne comme il se devait. La jeune fille protesta et, voyant que le chasseur l’ignorait en prenant la direction de la sortie, ordonna maladroitement au convalescent de rester au lit. Mais elle n’eu pas le temps de finir de formuler correctement son injonction que Xeltes avait déjà rabattu le pan de teinture derrière lui. Elle ne pu que le suivre en vociférant de sa voix fluette. Ils traversèrent ainsi le village sous l’oeil intrigué de ses habitants. Une fois arrivé devant la case du chef, Xeltes explica ses intentions aux gens qui gardaient l’entrée. Devant cette requête tout à fait honorable, on s’empressa d’aller quérir le sauveur du héros. Quelques instants plus tard, une petite silhouette timide au crin couleur crème et au museau tacheté de brun sorti craintivement de la case. Ce palico était plus petit que la moyenne, mais semblait en contrepartie très agile. L’équipement de haut vol dont il était paré attestait de sa qualité en tant qu’assistant chasseur. Les villageois le regardait avec déférence, car un tel vétéran était rare dans ces contrées reculées, fut-il un palico. Par contre, sa vision arracha au chasseur un cri de stupeur. Surprise, toute l’assemblée le fixa, stupéfaite. Un ange passa et, à en juger par le regard surpris de Xeltes et la moue contrite du palico, il devint finalement évident que tous deux se connaissaient d’avant les évènements.

Puis, sortant de sa torpeur de surprise, Xeltes fut comme pris de rage et commença à hurler des reproches acerbes au petit félidé, comme si le palico avait commis quelque impair envers le chasseur. Les uns et les autres tentaient maladroitement de s’interposer, mais la carcasse musclée et armurée de Xeltes se moquait totalement des gens qui tentaient de le retenir et ses vociférations ne s'atténuaient pas. Nul ne comprenait la cause de ces injures et même si elles semblaient injustes, le palico les subissait avec une attitude fautive, comme si elles étaient à propos. Au bout de plusieurs minutes, après moult cris et vociférations, un silence de marbre s’abattit soudain. La silhouette raide et autoritaire du chef venait d’apparaître dans le cadre de la porte. Tous se turent, même Xeltes qui, de manière très visible, avait beaucoup de mal à contenir sa rage. Le chef marqua le silence pour asseoir son autorité. Puis, à la cantonade, il demanda sèchement des explications.

Ce fut Xeltes qui répondit. D’après lui, le palico qui l’avait sauvé s’appelait Gilmesh. Il le connaissait depuis très longtemps, car il s’agissait du fidèle compagnon de chasse de son père. Le chef arga que cela n’expliquait pas sa colère ni n’excusait son comportement et qu’il devait pousser les explications un peu plus loin. Après une moue réluctante, Xeltes expliqua que, il y a quelques mois de cela, il avait quitté son village et sa famille pour devenir chasseur itinérant et solitaire. La présence de Gilmesh indiquait au chasseur que son père le cherchait toujours, malgré les indications très claires qu’il avait laissé dans sa lettre de départ, et que c’était cela qui l’avait mis en colère.

Le chef du village accusa la révélation d’un air renfrogné. Puis, toisant le chasseur de toute sa hauteur, il réprimanda fermement Xeltes. Il grailla que c’était grâce au palico que l’impudent avait survécu, et que c’était justement pour cette raison qu’un chasseur ne part jamais seul en quête. Si cela n’avait été de l'inquiétude de son père, Xeltes serait déjà mort. Peut-il seulement imaginer ce que cela fait de voir son fils partir du jour au lendemain dans un voyage qui le mettra constamment en danger ? S’est-il seulement rendu compte de l’effort que son père à dû produire pour respecter les volonté de Xeltes et ne pas partir à sa recherche en personne ?

Xeltes était coi. Bien sûr, le chef avait raison. Le pauvre palico qui restait là l’air désolé n’avait fait que ce qu’il croyait être la meilleure chose à faire – et qui s’avéra finalement effectivement la meilleure chose qui fut. Le chasseur s’agenouilla devant Gilmesh pour se mettre à sa hauteur, baissa la tête et lui demanda humblement pardon.

S’ensuivit une longue discussion entre ces deux-là, dans le secret d’une case qu’on leur avait prêté. Aucun villageois ne voulut troubler cette intimité, mais d’aucun conjecturait qu’ils discutaient sur ce qu’ils allaient respectivement faire par la suite, tout en rattrapant une partie du temps perdu. Ce fut à la tombée de la nuit qu’ils sortirent enfin. Ils se dirigèrent en choeur vers la tente du chef et annoncèrent à ce dernier que, dorénavant, le chasseur et le palico feraient la route et les chasses ensemble. Cette déclaration fut accueillie par une discrète joie trahie par quelques sourire dans la suite du chef. Celui-ci approuva solennellement la décision. Les regards complices qu’échangeaient les deux originaux révélèrent à tous que tous les différents avaient été aplanis entre eux. Xeltes déclara qu’ils comptaient reprendre la route tôt le lendemain et, sur ce, allèrent se coucher.

Au petit matin, le chasseur et le palico était prêts à partir. Tout le village était venu les saluer et les remercier. Le chef demanda aux compères où ils comptaient se rendre. Quand Xeltes prononça le nom de leur prochaine cible, une vague d’effroi s'abattit sur toute la procession. Un mince sourire d’orgueil apparu sur le visage du chasseur. Dans un silence religieux, Xeltes et Gilmesh adressèrent un signe d‘adieu au villageois, tournèrent sur leurs talons et partirent.

Le Bouclier Indéfectible

La chaleur torride des chemins et la suée provoquée par la longue marche avaient séchés la gorge d’Aegis. Vêtue de son armure et portant le reste de son équipement sur son dos, elle marchait d’un pas lourd à travers la foule tonitruante du marché. Malgré son air épuisé et sa démarche pesante, les passants ne lui prêtait aucune attention particulière. Ils avaient l’habitude de voir des chasseurs éreintés remonter la grande avenue en direction de la guilde et y était devenus indifférents. Faute de compassion pour les combattants harassés, ils se montraient néanmoins respectueux et s’écartaient naturellement devant la chasseresse pour la laisser passer, lui épargnant quelque effort supplémentaire.

Ici, la guilde était puissante et les chasseurs étaient traités avec déférence. Ils formaient de nerf de l’économie locale, si bien que la ville attirait sans cesse des marchands et des artisans étrangers qui espérait prospérer en profitant de cette économie foisonnante. Comme une dizaine de groupes de chasseurs partaient en quête chaque jour, il fallait énormément de monde pour l’approvisionnement, la logistique, l’artisanat et la forge. Sans parler du personnel de la guilde elle-même qui nécessitait son comptant d’hôtesses, de scribes et d’intendants. Il existait même des jeunes gens qui quittaient leurs villages natal pour émigrer vers la ville dans l’espoir de devenir l’apprentis d’un chasseur. La désillusion frappaient souvent ces gens-là quand ils se rendaient compte que cette vocation était moins ce qu’on décrivait dans les contes et les légendes qu’une profession juste éreintante et dangereuse. La guilde cherchait pourtant à en glaner, car l’affluence des monstres augmentait sans cesse et peu d’apprentis avaient réellement l’étoffe de chasseurs. Malgré le nombre élevé d’aspirants, la plupart rendait leur tablier avant la fin de leur formation. Cela étant, la ville avait déjà un grand nombre de chasseurs valides à disposition et réussissait même à attirer des vétérans venus d’autres régions. À court terme, la situation était gérable, mais à long terme, si les tendances restaient le mêmes, le monde des Hommes courrait un grand danger.

Aegis s’arrêta un bref instant au pied des marches montant vers l’immense yourte formant le quartier général de la guilde. Ses jambes commençaient à ployer sous l’effort. Elle se ressaisit, refusant de fléchir aussi près du but, et entama son ascension. Elle avait un pas lent mais ferme et mis plusieurs minutes à arriver sommet. En haut, une foule bruyante occupait les lieux. Quand elle arriva, tous les yeux se tournèrent vers elle et l’accueillirent en une myriade de regards étéroclytes. Les hôtesses lui sourirent largement, les chasseurs attablés levèrent légèrement leur choppe, les quelques citadins qui étaient présents ne lui jetèrent qu’un rapide coup d’oeil, les artisans lui accordèrent un signe de tête respectueux et l’intendante générale lui adressa un froncement de sourcils emprunt d’étonnement. Aegis ne releva aucun des saluts et se dirigea droit vers une table à manger. Elle fit glisser son sac par terre et s’affala sur un banc. Elle saisit une cruche qui était à disposition sur table et remplit une choppe. Elle but bruyamment et à grande lampée le liquide ambré, puis se servit un second godet. Une fois bien désaltérée, elle se leva et se dirigea vers l’intendante qui ne l’avait pas quitté des yeux depuis son arrivée.

“Je suis Aegis Magnus, chasseresse du Village Mogga” dit-elle formellement. “Je viens m’enregistrer auprès du comptoir de la guilde de cette ville.”

Le visage de l’intendante se dérida quand elle comprit qu’elle avait affaire à une nouvelle arrivante. Elle commença à poser les questions d’usage qui servirait à inscrire Aegis au registre et ainsi lui permettre de chasser dans cette région. Aegis répondait machinalement, habituée à ce protocole. Néanmoins, une vague de malaise s’abattit sur les deux femmes lorsque l’intendante posa cette question :

“Je ne vois pas votre Palico, se trouve-t-il dans les parages ?”

Aegis roula des yeux et resta un instant muette. Puis, devant le regard insistant de l’officielle de la guilde, elle admit enfin :

“Je n’ai pas de Palico. Enfin, je devrais plutôt dire que je n’en ai plus.”

L’intendante la toisa d’un regard incrédule. Aegis tenta de s’expliquer :

“Vous voyez, je suis à la recherche d’un homme. Un chasseur également. Je savais qu’il allait un jour ou l’autre passer par ici, alors j’ai essayé de le devancer. En parallèle, j’ai envoyé mon Palico suivre ce chasseur et lui demandant de veiller à ce qui ne lui arrive rien de grave… Du coup, présentement, je suis seule.”

L’intendante resta coi devant cette justification farfelue. Puis, elle se rappela à ses devoirs :

“Je suis navrée, mais sans Palico ni compagnon chasseur, je ne peux vous ajouter à la liste du personnel en service. Vous savez comme moi qu’il est strictement interdit de chasser seule dans les zones sous la juridiction de la guilde.”

Aegis pris un air gêné avant d’avouer :

“À vrai dire, je suis venue ici plus pour consulter les archives de la guilde que pour chasser à proprement parler.”

L’intendante se pinça l’arrête du nez et poussa un long soupir. Puis, sur un ton las, demanda à la chasseresse :

“Très bien, puis-je juste voir votre carte de membre de la guilde ?”

Les registres de la guilde, tout comme les codex rédigés par les scribes, sont disponibles à tous les chasseurs et à tous les officiels des villes dans lesquelles la guilde tient un comptoir. Les dirigeants de la guilde ont toujours soutenu une politique de transparence totale, aussi bien pour leurs membres que pour les villes et villages qui les héberge. Ces codex et folios sont rédigés pour servir les chasseurs et, par leur truchement, l’humanité toute entière. Autant rester ouverte à celle-ci. De plus, cela maintient un climat de confiance entre les citoyens et les chasseurs et justifie les obligations tacites que les villes et villages doivent respecter envers la guilde et ses membres. Tout le monde y gagne.

C’est ainsi que l’intendante permit à Aegis de consulter le grand registre de cette immense ville. La chasseresse mit plus d’une heure à trouver ce qu’elle cherchait. En effet, il y a tellement de circulation dans ce comptoir que rechercher quelque chose de précis là dedans est un vrai calvaire. Mais, à force de persévérance, elle finit par repérer les entrées qui l'intéressait. Sur un folio vierge, elle recopia toutes les lignes qu’elle voulait étudier, notant minutieusement tous les détails que les hôtesses avaient pris soin de relever à chaque fois. Ainsi, vers la fin de l’après-midi, Aegis avait relevé les arrivées, les départs, les chasses, seules ou à plusieurs, les requêtes de forge et tous les autres détails qui concernaient le chasseur Xeltes. Elle avait ainsi coulé de l’encre sur une demie-douzaine de pages. Épuisée, elle rassembla ses notes, les rangea dans son sac et rendit le grand registre aux hôtesses. Puis, voyant que le soleil était déjà bien bas dans le ciel, elle quitta la yourte à la recherche d’un endroit où dormir.

Le lendemain, Aegis se réveilla très tôt. Elle avait décidé de compulser les notes qu’elle avait prises la veille. Elle s’installa donc à l’unique table qui ornait la chambre d’auberge qu’elle avait loué, puis étala les pages de son folio devant elle. Ce qu’elle recherchait, c’était un motif, une schéma qui trahirait le but que cherchait à atteindre Xeltes. Elle savait que c’était quelque chose de gros, de bien trop gros pour un chasseur solitaire, aussi doué fut-ce-t-il. Elle savait qu’elle n’arriverait pas à convaincre ce loup errant d’abandonner son objectif, mais au moins pourrait-elle le convaincre de lui apporter son aide.

Aegis passa la matiné enfermée à ce travail.

L’objectif de Xeltes n’était pas clair. Aegis était certaine qu’il cherchait quelque chose de précis, mais elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Le chasseur ciblait principalement des wyvern brutes. Parmis ses cibles, un nombre conséquent étaient des Brachydios. En croisant les rapports qu’elle avait relevé dans d’autre villages, elle relevait un tracé. D’abord le volcan, ensuite la toundra, puis la plaine et enfin la forêt. Ensuite, il recommençait ce cycle. Dans le volcan et la toundra, il chassait toujours au moins un brachydios et il s’agissait souvent de sa première chasse. Sa cible serait donc un brachydios particulier ? Ce qui est étrange dans ce cas, c’est qu’il passe alors par la plaine et la forêt. Chaque chasseur sait qu’on ne trouve de brachy que dans les climats extrêmes, les plaines et forêts sont beaucoup trop douces pour eux. En plaine, Xeltes ne chassait que des wyvern brutes, comme des Barroth ou des Basarios. Le Brachydios est un genre de wyverne brute : peut-être pensait-t-il que sa cible pouvait être mal identifiée, et que derrière ces brutes se cachait en fait sont Brachydios spécial ? Le problème, c’est qu’il ne chassait pas que des wyvernes brutes. En forêt, il chassait tous genres de monstres : wyvernes volantes, des wyvernes à crocs ainsi que d’autres types de wyvernes. Il avait l’air de surtout chasser des wyvernes en fait. Parmis celles-là, certaines étaient d’ailleurs particulièrement notables, sortant spécifiquement de l’ordinaire, étant généralement plus dangereuses que leurs congénères.

C’est à ce moment que la lumière se fit. Elle compris ce qui se passait au moment où elle remarqua que le nombre de wyvernes évoluées présentes dans la nature était bien plus élevé que la normale. Elle se releva d’un bond, renversant une partie de ses notes sur le sol, et se mis à réciter une vieille comptine enfantine qu’elle avait dû exhumer des profondeurs de sa mémoire.

“Le jour du début de la fin,
Le roi des rois reviendra.
Il battra les autres vilains,
Parce que c’est lui le vrai roi.

Tous les princes des méchants,
Viendront, encore et encore.
Ils combattront vaillamment,
Et mourront de leur belle mort.

Ensuite et dans une explosion,
Il détruira hommes et cités.
Le prince de l’extermination,
Le fléau de l’empyrée.”

Il s’agit d’une comptine que tous les enfants des villages ont appris étant jeune, sans vraiment comprendre le moindre mot, juste parce que la sonorité est agréable. Mais aujourd’hui, Aegis comprenait le véritable sens de ces vers et, par corollaire, l’urgence de la situation. Le texte se transforma en un genre de prophétie dont le sens était aussi effrayant que funeste. Il est écrit qu’un jour, le “roi des monstres” sortira de son nid et laissera les autres monstrez convoiter son titre. Les monstres les plus vicieux, malfaisants et puissants convergeront vers un endroit unique dans le but de confronter leur roi et de prendre sa place. Puis, une fois que le roi aura assis son autorité, il purgera le monde des hommes.

La comptine était écrite comme si cela était déjà arrivé par le passé et qu’il s’agissait d’un cycle de destruction inévitable. Rien dans l’histoire ne témoignait de cela, et aucune preuve de l’existence du “roi des rois” n’a jamais été trouvée. C’est sans doute pour cela que la comptine est restée ainsi ignorée des grandes instances de ce monde.

Aegis comprenait mieux les actes de Xeltes : il tournait en rond dans le pays pour trouver le roi. Celui-ci, pour se laisser défier, doit parcourir les landes à la recherche de ses adversaires. C’est pour cela que Xeltes chassait des monstres évolués : dans l’espoir de tomber sur une de ces confrontations et ainsi sur le roi. De plus, l’utilisation du terme “explosions” laissait clairement entendre que le roi est une forme évoluée de Brachydios. C’est pour cette raison que Xeltes ne chassait quasiment que cela.

Aegis était plus déterminée que jamais à retrouver Xeltes. Elle pris son argent et se rendit sur le marché. Elle passa l’après-midi à se préparer, à acheter du matériel, à concocter des objets de chasse et à récolter des rumeurs sur le roi des rois. Concernant ce dernier point, elle appris quelque chose d’intéressant : une légende locale parle d’un Brachydios extrêmement rare, qui serait monstrueusement malformé. Il passerait la plupart de son temps à dormir dans son nid. Mais, après une hibernation de plusieurs années voire décénies, quand la faim était trop forte, il descendait dans les plaines et les forêts et faisait un carnage parmis les monstres. Ce monstre était appelé “le Titan Immortel”, Titagnis. Étrangement, aucun registre de la guilde ne contenait ce genre d’information. Mais après tout, cela faisait à peine dix ans que la guilde existait bureaucratiquement.

Malheureusement Aegis n’avait pas réussi à obtenir l’information qu’elle recherchait : la position du monstre. Après tout, s’il était aussi facile que cela à localiser, Xeltes l’aurait trouvé depuis longtemps. Cela dit, elle était sûre qu’il allait tôt ou tard finir par l’apprendre et s’y rendre. Il fallait donc qu’Aegis soit prête pour ce moment, si elle voulait avoir la moindre chance de l’interrompre avant qu’il ne s’y rende. Elle passa le reste de la soirée à faire ses préparatifs et à organiser son sac.

Le lendemain matin, Aegis errait en ville, l’esprit dans le vague, essayant de prédire la suite des évènements. Soudainement, de manière aussi inattendue que surprenante, son regard croisa celui d’un petit palico crème au museau tacheté de noir. Gilmesh bondit alors de joie et accouru vers la chasseresse coi.

“Xeltes est en ville ! Je suis avec lui !” rugit le félidé, sans même une salutation.

Aegis, sortant de sa brève torpeur, lui rendit un sourire amical. Elle était contente de le revoir.

“Et je sais ce qu’il cherche ! C’est…”

Aegis l’interrompit en posant doucement un doigt sur sa babine.

“Ne t’inquiète pas, j’ai moi aussi découvert ce qu’il voulait chasser.”

Le chat acquieça et s’exclama :

“Il a découvert où il se terrait : au fin fond de la faille volcanique ! Il compte s’y rendre dès aujourd’hui ! Il faut que tu te dépêche !

- Ne t’inquiète pas : je suis déjà préparée. Et j’ai un plan. Je vais l’attendre au pied du mur. Toi, charge-toi de remettre ce message à la guilde.”

La chasseresse tendit un vélin roulé au palico. Elle avait pris soin de le rédiger la veille, en prévision de ce moment.

“Donne-le à l’intendante générale, elle comprendra son contenu et enregistrera notre chasse auprès du comptoir de guilde.”

Gilmesh saisit le rouleau avec un air interloqué. Aegis lui explica :

“Xeltes ne prendra pas soin de s’enregistrer. Pour cause : le monstre qu’il cherche n’est pas répertorié. Il est suffisamment malin pour savoir que sa meilleure option est de passer en coup de vent en ville, juste le temps de se refaire un stock, puis d’aller directement sur le lieu de la chasse. Moi, je pars immédiatement, je vais l’attendre sur la route pour pouvoir le confronter. Toi, voici ce que tu vas faire : deux heures après votre départ, tu vas lui fausser compagnie et revenir en ville pour délivrer cette missive. Le temps qu’ils comprennent ce qui se passe, on aura déjà une demie-journée d’avance, il ne pourront plus nous rattraper. Capichi ?”

Gilmesh baissa le regard le temps d’assimiler toutes ces information. Il finit par dire :

“Je ne comprend pas, pourquoi tu cherches à la fois à fuir la guilde et en même temps à vous enregistrer en bonne et due forme ? Cela ne fait pas de sens…”

La réponse d’Aegis ne se fit pas attendre :

“C’est simple. Premièrement, la guilde essaiera de nous arrêter. Elle pense que ce monstre est une chimère. Moi, j’ai vu tous les signes – et Xeltes aussi d’ailleurs – ce monstre existe bel et bien. Je préfère leur couper l’herbe sous le pied plutôt que de perdre mon temps – et celui de Xeltes – en palabres et justifications. Par contre, il faut qu’on soit quand même capable de se couvrir légalement, pour éviter les problèmes. Dégâts collatéraux, blessés, villages détruits, etc, si jamais ces incidents surviennent à cause de chasseurs non enregistrés, la guilde et nous pourront avoir de graves problèmes par la suite. Bien sûr, il y a présentement des circonstances atténuantes justifiant certaines initiatives et autorisant un champs d’action plus large. C’est justement cela que j’ai mis dans le rouleau : tous les justificatifs prouvant que nous agissons de bonne foi et en suivant les règles de la guilde. Normalement, s’ils sont conciliants et ont un peu d’instinct de conservation, ils devraient s’y conformer.”

Gilmesh se gratta derrière l’oreille, un peu interdit. D’aucun verrait de la confusion dans cet air perdu, mais Aegis le connaissait suffisamment pour savoir qu’il était actuellement en train de repasser dans sa tête le raisonnement qu’elle venait de lui exposer, pour voir s’il y avait un défaut ou une lacune quelconque. Après quelques instant de réflexion, il lâcha finalement un hochement de tête satisfait.

“Il faut que je retourne auprès de Xeltes, avant que mon absence ne se fasse trop remarquer.”

Aegis sourit puis cligna des yeux en guise d’approbation. Le palico commença à s’éloigner, puis s’arrêta. Il se retourna timidement et, les oreilles rabattues en arrière et jeta un dernier regard à la chasseresse :

“Bonne chance, Aegis. Tu en auras besoin.”

La chasseresse resta quelques instants perdue dans ses pensées, puis murmura pour son compte :

“Bon, il ne faut pas traîner, le temps m’est compté.”

Sans plus attendre, elle se dirigea vers la sortie de la ville, par là où elle était arrivée l'avant-veille. Juste sous la muraille, à côté de la grande double-porte qui vomissait des flots de gens et de caravanes à longueur de journée se trouvait l’écurie. Aegis alla voir le page qui s’occupait des bêtes.

“Bonjour”, dit-elle à son attention, “je suis venue déposer mon Apnototh ainsi que sa cargaison, avant-hier, vers midi. Puis-je les récupérer ?”

Le jeune homme consulta son registre.

“Madame Magnus, c’est bien cela ? Il est rare de nos jour de voir un chasseur avec autant de matériel ! D’habitude, ils ne le trimbalent pas eux-mêmes, ils profitent des caravanes marchandes pour balader leurs armes et armures.“

Aegis ne releva pas la remarque qu’elle trouvait désobligeante. Tout en parlant, le page s’était dirigé vers une monture parquée à l’ombre. Il l’attela en faisant quelques remarques sur la bonne santé de la bête, puis chargea un énorme ballot sur son dos, qui avait une forme très allongée et n’autorisait aucun cavalier. Tout en tendant la bride à la chasseresse, le garçon s’interrogea :

“Si je puis me permettre, quel genre d’armes y a-t-il là-dedans ? Même la plus grande des claymores n'atteint pas cette taille !”

C’est avec une fierté un brin réprobatrice qu’Aegis lui donna réponse :

“Il s’agit de l’équipement d’un des plus grands chasseurs de ces terres et des terres alentours.

- Ouah,” répondit le jeune homme en s’esclaffant, “ça en jette !’

Aegis régla sa commission le plus vite possible et partit. Elle emprunta l’immense passage et sortit de la ville. Une fois dehors, plutôt que d’emprunter la route bondée qui filait tout droit dans les plaines, elle se longea la muraille pour faire le tour de la cité. Elle tirait ainsi sa bête sous le couvert des arbres, en prenant bien soin d’éviter de la faire trop meugler, pour rester la plus silencieuse possible. Après quelques instants de marche discrète, elle attegnit une route perpendiculaire à la première, beaucoup plus modeste et totalement déserte. Elle aurait pu passer par l’intérieur de la ville, d’où ce petit chemin est accessible via un grand portail, mais cela comportait deux défauts. Déjà, cela aurait voulu dire passer par le marché avec sa bête de bât. Étant donné la proximité avec les commerces, les auberges et la guilde, il y aurait eu une chance que Xeltes se trouve là au mauvais moment et la découvre, ce qui aurait ruiné l’intégralité de son plan. Ensuite, sortir de la ville par ce portail nécessite deux choses : un passe-droit de la guilde et sonner la grande corne annonçant des chasseur partant en traque. Car en effet, le sentier qu’avait rejoint discrètement Aegis était la piste qui menait aux terrains de chasse est de la ville et dans sa suite, au sud-est, au volcan. Il était absolument interdit de s’y rendre sans l’aval de la guilde et il ne faisait aucun doute que Xeltes utiliserait la même technique pour passer sous leurs radars.

Sur ce, Aegis pris le sentier et commença à s’éloigner de la ville.

Elle dû marcher presque une-demie journée entière. Sa bête la ralentissait et elle avait peur que Xeltes ne la rattrape avant qu’elle n’ai pu se positionner correctement pour le confronter. Néanmoins, elle ne fut finalement nullement inquiétée durant son voyage et arriva à l’endroit voulu avec assez d’avance. Il s’agissait d’un immense mur de pierre, une grande falaise de roche volcanique délimitant le territoires des plaines et celui du volcan. Le sommet du mur, à plus de trente mètres de haut, pulsait en permanence d’une lumière rouge de lave. La piste filait droit dans le mur et passait à travers une cavité naturelle qui permettait d’accéder à l’autre côté. Ce passage pouvait laisser passer trois hommes en largeur et était haute comme deux hommes. Lorsqu’on se tenait devant la cavité, un vent chaud à l’odeur de souffre soufflait. Malgré la chaleur ambiante, la végétation était fournie aux alentours, plusieurs bosquets de chêne formait un petit sous-bois sur quelques centaines de mètre autour de l’entrée.

Xeltes allait forcément passer par ici : c’était le seul chemin empruntable à pieds pour accéder au volcan. Aegis cacha sa bête de bât dans le fourrés avoisinant, puis s’adossa à la gigantesque muraille, proche de l’entrée de la grotte, de manière à ce qu’elle soit bien visible depuis la route. Puis, elle attendit le chasseur. Il se passa à peine une heure avant qu’une ombre apparaisse sur le chemin, plus loin. Elle ne distinguait pas encore son visage, mais la démarche ne laissait aucun doute : il s’agissait de l’homme qu’elle attendait.

C’est ainsi que, pour la première fois depuis son départ, elle le vit. Il ne s’était passé que quelques mois, mais le chasseur était transfiguré. Au-delà de la longue cicatrice qui lui barrait maintenant le visage, son expression était singulièrement différente. Il arborait une expression dure, lointaine et rigide. Une expression de maturité. Une expression de détermination.

Ce visage à peine reconnaissable se dérida de manière imperceptible lorsqu’il aperçut la chasseresse. Même si on pouvait lire dans ces yeux une certaine surprise, son regard était totalement dénué d’étonnement, comme si cette rencontre était un destin qu’il s’efforçait de retarder tout en sachant qu’il était impossible à éviter. Ce fut Aegis qui, un sourire pincé aux lèvres, brisa le silence en première.

“Salut, frérot.”

Le Titan Immortel

Les retrouvailles furent sobres. Aucune effusion, quelques brèves explications et un longue discussion silencieuse. Ils échangèrent plus de paroles via des regards qu’ils n’aurait jamais pu le faire avec des mots. Émotions, sentiments, ressentis. Les sourcils bas et la mine haute, Aegis enjoignit son frère de sa nécessité et de sa compréhension. Humilité, regrets, empathie. Le visage dur et l'oeillade tendre, Xeltes répondit qu’il comprenait cet amour et regrettait le défaut de réciprocité. Après une longue pause où chacun prirent le temps d’assimiler ces retrouvailles, ils échangèrent de concert un signe de tête ferme, et se détournèrent l’un de l’autre pour marcher dans la même direction.

Avant de partir néanmoins, Aegis fit stopper Xeltes. Elle sorti l’Apnototh de son abris et dévoila le contenu de son bagage. Xeltes ouvrit des yeux ronds en en voyant le contenu. Ces lances accompagnées de leur bouclier respectif que Aegis lui présentaient pincèrent le coeur du chasseur, car elles faisaient remonter d’anciens souvenirs.

La lance était l’arme symbolique de la lignée Magnus, dont Aegis et Xeltes étaient les descendants. Xeltes avait abandonné ce symbole quand il avait quitté le village, quelques mois plus tôt, mais aujourd’hui il se trouve de nouveau face à elle. Grâce à Aegis, il était en train de recouvrir les notions de camaraderie et d’entraide qu’on lui avait inculqué étant jeune, et qu’il a abandonné en partant chasser seul. Il saisit délicatement son arme, comme si elle était en verre. La fascination dans ses yeux était d’une profondeur mélancolique. Aegis retrouvait enfin le chasseur d'antan, celui qui avait chassé avec elle et qui portait une affabalité et une détermination qui avaient le pouvoir d’inspirer ses congénères. Avec ce Xeltes-là, toutes les épreuves étaient surmontables. Ni les monstres, ni la terre, ni la lave, ni les tempêtes ne pourraient les arrêter. Tous deux saisirent leur arme, leur bouclier et prirent le passage menant volcan, marchant côte à côte. Cela faisait longtemps qu’ils n’avaient pas combattus ensemble, côte à côte. Cette pensée émouvante arracha une larme à l’Inflexible, larme qui s’évapora avant de toucher le sol, à cause de la chaleur ambiante.

Ainsi, ressurgirent du passés d’anciens titres, qui ont été acquis à la force de leurs seuls bras, par leur fougue, leur sagacité et leur détermination. Xeltes, la Lance Inflexible, et Aegis, le Bouclier Indéfectible, munis de leur armes de prédilection, s’avançaient pesamment sous la chaleur du volcan. Un pas mesuré, mais imperturbable, impossible à arrêter, pouvant surmonter tous les obstacles.

L’arme de Xeltes était démesurée. Elle avait été taillée pour atteindre le points faibles les plus élevés des monstres. Sa longue pointe était taillée dans une corne du Jhen Mohran, un terrible Dragon Ancien qui avait été abattu par quatre fougueux chasseurs, dont Xeltes avait fièrement fait partie. La poignée et l'encolure de la garde était en cuir de Deviljho. Le bouclier de Xeltes était léger et asymétrique, ce qui lui permettait en fenter pour augmenter encore davantage son allonge, au détriment de la protection. Il avait été fabriqué à partir de morceaux de rathalos argenté et avait été ornementé pour ressembler la tête de la bête, de profil. Cette lance gigantesque et ce bouclier aux allures de trophée donnait un cachet légendaire à Xeltes le bien nommé, qui privilégiait ainsi attaque et allonge, au détriment de la protection.

Aegis, quant à elle, n’était pas en reste. À l'inverse de son frère, son arme avait été forgée dans un but défensif avant tout. Elle avait une taille très modeste, mais n’était pas moins exceptionnelle : elle avait été forgée dans la queue de l’Alatreon, le légendaire Dragon Ancien qui contrôlait les quatre fléaux, qu’Aegis avait abattu seule pour protéger son village. Large et plate, la lance permettait de faire diverses manoeuvres défensives, déviant les coups et faisant glisser les attaques le long de sa lame si bien que, une fois maîtrisée, elle devenait un complément redoutable au bouclier. Le bouclier d’Aegis, pour en parler, était particulièrement notable. C’était un véritable pavois, immensément large, qui était capable de couvrir jusqu’à deux chasseurs en plus de son porteur. Il avait la couleur brillante des écailles de la rathian dorée et avait été conçu pour ressembler à deux grandes ailes se déployant autour de l’axe central, imitant l’envergure titanesque du monstre susmentionné. L’encolure du bouclier formait presque un demi-cercle complet, de laquelle ne dépassait que la tête de la chasseresse, transformant celle-ci en véritable forteresse sur pattes. Le pavoi dans son ensemble, de par sa taille extraordinaire, semblait incommensurablement lourd et il était incroyable qu’un seul homme – ou en l'occurrence une seule femme – soit capable de le manier d’une seule main.

Au fur et à mesure que les chasseurs approchait du coeur du volcan, la chaleur était de plus en plus insoutenable. Mais si la transpiration perlait sur leur front, ce n’était pas à cause du climat extrême : c’était à cause de l’épreuve qui les attendait. Puis, il arrivèrent à destination.

L’endroit était un plateau au diamètre gigantesque, ceint d’un anneau de magma bouillonnant, lui même entouré d’une muraille infranchissable. Au milieu de cette arène infernale, attendant d’être défié, se trouvait le légendaire Titagnis. Il était lové dans une posture calme, débordant de flegme et de patience. D’aucun pourrait le croire endormis, mais ni Aegis, ni Xeltes ne s’était hâté à cette conclusion, car le Titan Immortel était bien vigilant, prêt à relever toute contestation de sa souveraineté absolue. Au moment où les de chasseurs entrèrent dans l’arène, il émit un souffle rauque et déploya sa masse de muscle et de chitine. Se redressant de toute sa hauteur, il faisait mesurer aux intrus toutes la puissance qu’il dégageait. Il était au moins trois fois plus grand qu’un brachydios commun, c’est à dire presque trente fois plus massif. Contrairement à la plupart de ses congénères, il n’avait pas les deux broyeurs et la corne phalloïdes usuels. À la place, il disposait sur le bras gauche d’une accumulation anormale de chitine, formant une gigantesque masse ressemblant à un broyeur démesuré, sur le bras droit la carapace a été brisée en une lame longue et acérée, et sur le front, la corne s’est surdéveloppée en un épieu mortel. Ce monstre, à l’armement si atypique, poussa un long rugissement, prévenant toutes les créatures à des dizaines de kilomètres à la ronde que quelqu’un avait défié le Roi, et que la sentence allait être prononcée.

Bien qu’il se trouvait à une centaine de mètres des chasseurs, il ne suffit que d’un bond à la brute pour les rejoindre. Se projetant ainsi dans les airs, il brandit son énorme bras gauche afin de l’abattre de tout son poids sur le sol. La manoeuvre n’avait pas pour but de blesser les chasseurs – même si prise de plein fouet, cette attaque était sans le moindre doute mortelle – mais de faire vibrer le sol pour les renverser. Xeltes et Aegis l'avaient deviné, mais ils ne purent rien tenter sinon esquiver l’attaque en se jetant chacun d’un côté. Les chasseurs glissèrent sur le sol juste avant que Titagnis n’abbatte son poing sur la roche dans un bruit de craquement qui résonna dans tout le volcan. Sous la force surnaturelle du monstre, le plateau tout entier se fissura, et de toute part la lave commença à jaillir sous l’effet de pression exercée sur l’immense plaque de roche. Des colonnes de flamme surgirent du sol, autour de la bête et de ses chasseurs. Ces derniers, qui s’étaient redressés dès que le sol s’était arrêté de trembler, prirent leur posture de défense, faisant fi du déluge de flammes environnant, prenant soin d’éviter les crevasse magmatiques zèbrant le sol.

Titagnis enchaîna rapidement avec son deuxième assaut. Étant donné que les chasseurs étaient séparés, le choix de sa cible allait être décisif. Au dam des chasseurs, le Roi n’était pas dépourvu de bon sens, et il décida d’ignorer la carcasse largement protégée d’Aegis pour se ruer sur la silhouette dangereuse mais exposée de Xeltes. Celui-ci hésita un instant à se mettre en posture de réception de charge. Contre des monstres ordinaires cela suffisait à compenser le défaut défensif de l’Inflexible, mais contre une bête de cette taille la Lance risquait de se briser. Cet instant de réflexion fut très bref, mais hélas de trop. Xeltes eu tout juste le temps de lever son bouclier au niveau de son épaule avant de recevoir de plein fouet la lame antérieure de Titagnis, qui visiblement avait visé la jointure du casque et de l’armure. Le coup fut bloqué, mais la violence de l’impact faiblement amortis par l’étroit bouclier projeta Xeltes sur le côté qui, même s'il ne chut pas, dû conserver sa position basse de garde le temps de retrouver sa stabilité, glissant sur deux bonnes dizaines de mètres.

Aegis réagit rapidement pour contre-attaquer. Devant d’abord briser la distance entre elle et la bête, elle écarta son pavois, cala sa lance sous l’aisselle, pointe en avant, et chargea. Elle accompagna sa course d’un hululement rageur afin d’attirer l’attention du monstre pour qu’il se désintéresse de son compagnon, encore en train d’accuser le coup quelques jets de pierre plus loin. Le cri de guerre fit effet : Titagnis se tourna vers la chasseresse. Portée par la vitesse et le poids de son équipement, celle-ci ne pouvait ni stopper, ni dévier sa course. Ayant constaté cela et voulant en profiter, Titagnis décida de la contrer, profitant de son allonge supérieure pour frapper son ennemie en premier. Il balança son poing gauche avec violence pour faucher la chasseresse. Mais Aegis, toujours entraînée dans sa charge effrénée, avait prévu ce coup, et pivota sur elle-même. Ce faisant, elle ramena son pavois devant elle avec une force que seule elle pouvait déployer, et ce mouvement, accentué par le poids du bouclier et la course qui était toujours ininterrompue, bloca efficacement l’énorme masse qui servait de poing gauche au monstre, et ce malgré sa force titanesque. Mais Aegis ne s’arrêta pas là. Elle continua de tourner sur elle-même, enroulant son bras droit autour de son torse, la lance rabattue au ras du sol. Puis, elle tira de toutes ses forces sur son bras alors qu’elle terminait un tour complet sur elle-même et déploya toute son envergure dans un large mouvement ascendant. La lance voltigea à une vitesse cinglante et vint frapper la bête avec une puissance que le poids, la charge et la force centrifuge avaient décuplée. Le tranchant fin de l’arme frappa le visage et le garrot du monstre. L’impact ne perça pas la peau surépaisse de la bête – la lance d’alatreon n’était pas faite pour trancher – mais la puissance de l'impact la fit chanceler, et Titagnis du faire quelques pas sur le côté pour ne pas chuter. Cela permis au deux chasseurs de se rejoindre et de conjointement faire face à leur adversaire. Titagnis reprit ses esprits, et leur fit face également. Le combat devint alors égal.

La posture qu’adoptèrent Aegis et Xeltes était particulière. La chasseresse couvrait leur deux corps avec son très large pavois. Sa lance plate couvrait son flanc droit et permettait de manoeuvrer des parade. Xeltes, quand à lui, protégé par l’aile gauche du bouclier indéfectible, brandissait sa lance entre leur deux corps. Longue et menaçante, elle permettait de ne pas souffir du fait d’être protégé par autrui. De son bras gauche, grâce à son bouclier maniable, il pouvait aisément dévier les coups venant frapper son flanc. Ainsi, ils étaient tous deux protégés par le devant et sur les côtés et Xeltes pouvait frapper leurs adversaires grâce à son allonge démentielle. Cette formation en tortue était lente et fragile face au débordement, mais impénétrable à tout assaut de front.

Titagnis fulminait. Du fait d’avoir été ainsi trompé par la charge de la chasseresse et d’avoir perdu son avantage face à Xeltes, les naseaux du monstre exultaient de colère. Les voir ainsi en position défensive, avec la lance en réception de charge lui insufla une montée d’adrénaline. Le titan fit un grand pas en arrière, laissant pressentir sa prochaine action. Le ronflement sourd du volcan, la clarté des colonnades enflammées et la pause calculée du brachydios firent monter une pression intense auprès des deux chasseurs, qui affirmèrent leurs appuis et se crispèrent sur leurs armes. La bête se pencha lentement en avant, se recroquevillant méthodiquement, puis d’une puissante détente se projeta derechef dans les air. L’attaque lentement préparée eut l’effet voulu et commença à ébranler les deux aventuriers qui, le ventre noué, se voyaient déjà pulvérisés par l’impact démoniaque que Titagnis s’apprêtait à faire tomber sur eux. L’attaque n’était pas conventionnelle : le monstre brandissait ses deux poings en avant et avait l’échine courbée pour que sa corne vienne participer au massacre qu’il prévoyait. Il avait ainsi sorti toutes ses armes en même temps afin que les chasseurs, submergé, ne puisse pas toutes les éviter et ainsi se voir porter un coup, coup qui s’avèrerait fatal asséné de cette manière.

Le craquement qui s’ensuivit résonna jusqu’aux portes de la ville. Sinistre, il était composé du son de la roche qui se fissure, de celui du métal qui se tord, et, Xeltes l’aurait juré, de celui des os qui se brisent. L’énorme broyeur avait été dévié par le plat de la lance d’Aegis, la longue lame brachydios avait été parée par le bouclier de Xeltes, et la longue corne de la bête s’était fichée dans le sol, pile entre les deux chasseurs. L’impact de cette dernière avait été tel qu’il avait brisé le Bouclier Indéfectible verticalement, le privant d’une de ses deux ailes. La corne plantée dans la roche avait fissuré le sol, et Titagnis se hâta de l’ôter pour ne pas s’exposer à une contre-attaque. C’est à ce moment que Xeltes se rendit compte d’une chose. Lâchant son bouclier, devenu inutilisable, Aegis posa lentement un regard horrifié sur son bras gauche. Celui-ci était dégoulinant de sang. L’armure avait été arrachée par l’impact, et, dodelinant de son épaule, le bras avait été broyé jusqu'à l'épaule. Xeltes, qui avait été légèrement repoussé par l’impact, voulu rejoindre sa soeur pour l’aider à gagner un endroit sécurisé, mais de la faille se trouvant entre eux deux surgit une vague de magma qui les surprit tous deux et qui les sépara en les projetant à une vingtaine de mètres de distance l’un de l’autre.

Sans bouclier et manchot, Aegis avait une très faible espérance de vie. Xeltes se tourna donc vers le monstre, et le chargea bille en tête avant qu’il n’ait l’idée d’achever la blessée. Néanmoins, cet assaut était désespéré et voué à l'échec, et la bête saisit cette occasion pour tenter de blesser son seul adversaire encore valide. Prenant le chasseur de court, comme un joker qu’il aurait gardé dans sa manche depuis le début, Titagnis fit gicler de sa bouche un filet de bave verte explosive. D’ordinaire, les brachydios ne peuvent pas faire cela, étant limité à déposer leur bave sur leurs broyeurs, mais Titagnis demontra une fois de plus qu'il était nettement supérieur à ses congénères. L’attaque prit Xeltes totalement au dépourvu, il ne put l’éviter et fut frappé de plein fouet. L’impact le jeta une fois de plus au sol. Quand il se releva, la bave commençait à prendre une teinte jaunâtre. Il aurait aisément pu s’en débarrasser, si le monstre n’était en pas en train de le charger derechef. Le chasseur savait que s’il tentait d’encaisser la charge avec son bouclier, cela précipiterait l’explosion. Il décrocha donc et se jeta sur le côté dans un plongeon désespéré qui le remit en position allongée. L'attaque fut évitée, mais déjà le monstre préparait une nouvelle charge. La bave qui recouvrait son armure était rouge à présent et commençait à crépiter. Il n’avait plus le temps d’esquiver : il ne pouvait se défendre qu’avec son bouclier. Cela dit, faire ainsi déclencherait l’explosion. Il ne pouvait pas non plus se débarrasser de la bave : il se prendrait la charge du monstre en plein visage. Le monstre fonçait déjà sur lui. Il n’avait plus le temps de réfléchir. Tant pis ! Il encaissait l’attaque dans son bouclier et subirait l’explosion, en espérant qu’elle ne soit pas trop meurtrière.

Ce fut au dernier moment, une fraction de seconde avant que la corne de Titagnis ne vienne percuter le bouclier de Xeltes, qu’une chose inattendue se produisit. Dans un bruit de verre brisé, une fiole de nettoyant jetée par Aegis, à genoux un peu plus loin, s’était explosée sur l’armure du chasseur. Le contenu répulsif de la fiole se répandit rapidement et vint neutraliser la bave qui était sur le point d’exploser. Titagnis percuta le chasseur qui, à cause de son bouclier trop léger, accusa tout de même une partie de l’impact en serrant les dents. Son bras gauche commençait à le faire souffrir à force d’arrêter les coups surpuissants de la bête. Profitant de sa parade il asséna une contre-attaque en visant le garrot du monstre. Celui-ci se détourna au dernier moment et reçu le coup de lance dans l’épaule, arrachant un filet de sang noir. Néanmoins, nullement incommodé par sa blessure, Titagnis répondit à la contre-attaque par un coup de broyeur qui frappa Xeltes de plein fouet par le flanc. Celui-ci, incapable de parer ce coup venant de la droite, reçu l’impact sous l’aisselle et sentit ses côtes craquer sous son armure. Xeltes se retrouva ainsi blessé sur le sol, dépourvu de ses armes tombées un peu plus loin, à un jet de pierre du titan qui s’apprêtait à l’achever d’une ultime charge.

Les naseaux dilatés, l’oeil rouge, la peau éclatante de rage, Titagnis jaugeait son adversaire de loin. Il lui faudrait quelques secondes pour se remettre du coup qu'il venait de lui porter. Il fallait donc l’achever rapidement et proprement. Titagnis fronça les sourcils, pris appui sur une patte en arrière, redressa sa queue et pencha sa tête, s’apprêtant à charger au raz du sol, ce qui ne laisserait aucune chance au chasseur encore couché. Puis au moment où il décida de lancer sa charge, il se retrouva plaqué au sol par un poids énorme venant de sa gauche. D’un coup d’oeil, il vit la chasseresse qui, par un effort incroyable, avait réussi à se remettre debout, prendre son bouclier brisé de sa main invalide, et le plaquer contre le cou du monstre en appliquant tout son poid dessus pour l’empêcher de bouger, utilisant la poignée comme levier. Le titan fut pris de court, perdit l'équilibre et chut. Profitant de ce bref instant de faiblesse, Aegis sauta sur le monstre à califourchon et plaqua sa lance de l’autre côté de son cou à l'aide de son bras brisé, l'immobilisation dans un genre de clé de lutte improvisée. Assister à cette scène donna à un Xeltes un second souffle. Voir Aegis sur ses deux pieds, encore bien batailleuse et utilisant son bras broyé comme s’il était valide lui arracha un cri de rage vengeur. Il se releva, saisit sa lance à deux mains, et chargea en hurlant. L’énorme pique fusait en direction du cou immobilisé de Titagnis à une allure phénoménale. Le Roi se débattait, tentant désespérément de se libérérer, mais en vain. C’est avec un regard affolé que le monstre vis la Lance Inflexible pénétrer son cou, le transperçant de part en part, ne s’arrêtant qu’a la garde. La puissance de la charge de Xeltes brisa la lance, et le chasseur, sous le poids de la force qu’il avait su déployé malgré ses blessures, chut en un roulé-boulé désarticulé. Le monstre, dont le garrot venait d’être fusé de part en part, fut pris d’un violent  spasme, qui le libéra enfin de sa position de soumission et projeta Aegis à une dizaine de mètres. Titagnis se redressa de toute sa hauteur, la hampe de la lance encore plantée dans le coup. Il tenta d’attaquer les chasseurs au sol, mais sa vision était déjà voilée par le linceul de la mort. Il se débata, frappa le sol, courra sur le plateau dans l’espoir de s’échapper, mais sa fin était déjà actée. Ne voyant pas où il courait, il passa par-dessus le bord du plateau et tomba dans le magma en fusion.

Le Roi était mort. À eux deux, ils avaient terrassés le Titan Immortel. Leurs blessures étaient graves, mais rien d’incurable. Et surtout, ils étaient chacun heureux que l’autre soit en vie. Après avoir engloutis quelques potions atténuant la douleur et prodiguant des soins éphémères, ils repartirent ensemble, se soutenant l’un l’autre, laissant derrière eux leurs armes brisée.

Épilogue

Aujourd'hui encore je ne suis pas totalement sûre de quelles étaient les motivations de Xeltes à l’origine. Cela importe peu au final, puisque c’est en refoulant nos doutes respectifs que nous sommes venus à bout de l’ennemi le plus terrible que nous n’ayons jamais eu à affronter. En conclusion, je ne puis affirmer qu’une seule chose avec certitude : l’aventure n’est pas finie. Au contraire, cette histoire n’était que le prologue de la chronique de ceux que les historiens appellent désormais “Les Chasseurs de Titans”.

― Extrait de l’autobiographie de Aegis Magnus