Littérature:Petit Jardin en Fleur/Le petit sifflet de laiton

De Magnus Codex


Le petit sifflet de laiton
RecueilPetit Jardin en Fleur
TypeNouvelle
ÉtatBrouillon

Le petit sifflet de laiton

En l'an 369 du Troisième Âge

Aujourd'hui, je n'arrivai pas à me concentrer sur mon travail. Je n'arrêtais pas de regarder par la fenêtre, sans trop savoir pourquoi. Une intuition, sans doute. Après toutes ces décennies de travail, mon esprit percevait beaucoup plus de choses que la plupart des gens.

Mais tout ce que je voyais, c'était le brouillard matinal qui nimbait mon petit village paisible. À chaque fois que je levais la tête de mon œuvre, j'essayais de distinguer, une silhouette, du mouvement à travers la nappe blanche, en vain.

Puis, quand j'avais enfin réussi à me plonger dans mon travail, trois coups frappèrent à la porte.

Je me levai, lourde d'apathie —et aussi à cause du grand âge qui rouillait mes genoux plus que rodés— et me dirigeai pour accueillir mon visiteur. Il s'agissait d'un jeune homme bien habillé, en redingote de feutre et au chapeau bien entretenu. Ce qui me frappa fut qu'il n'était pas du coin. Contrairement aux habitants d'ici, qui avaient la peau bleue, lui avait la peau rouge, comme moi. Enfin, "jeune" de mon point de vue. Il avait facilement plus de cinquante ans.

"Je suis Pelapte, marchand de mon état. Vous êtes bien Nuope, l'artisane ? J'aimerais discuter avec vous pour une commande un peu spéciale."

Je le dévisageai de haut en bas, incrédule. "Oui, c'est bien moi. Vous voulez que je vous serve un thé ou un café, pendant qu'on parle de ça ?"

Le bourgeois sourit et je le fis entrer.

"Jolie redingote," remarquai-je.

"Merci ! J'en suis très fier, je l'ai faite venir du cercle Akva, d'où je viens. Ça me rappelle un peu le pays."

Nous nous essayâmes et je servis le thé.

"Santé !" lui dis-je dans le patois shamanique.

Il sourit et me répondit dans la même langue : "Santé !".

J'enchaînais en buvant mon thé : "Ça fait longtemps que vous êtes dans la région ?"

Il but à petites gorgées. "Environ quatre ou cinq ans ? Mais j'habite plus bas, à deux heure du Havre. C'est rare que je vienne aussi haut dans la montagne."

"Comment avez-vous entendu parler de moi ?"

Il posa sa tasse et pris un air pensif. "Je crois que c'était un collègue à moi qui m'a parlé de vous, et du bon rapport qualité-prix. Je me suis un peu renseigné, vous avez une petit notoriété dans la région — parmi les gens qui s'y connaissent."

"Pourtant, je ne fais pas beaucoup de publicité."

Il fit un geste fataliste. "La publicité vient d'elle-même, quand la qualité est là. Et puis, plus que marchand, je suis aussi négociant. J'ai l'habitude de dénicher les meilleurs artisans."

Il fit mine de vouloir me resservir, mais je levai une main pour lui signifier que j'en avais eu assez.

"Quelle est donc, cette commande si spéciale ?" demandai-je enfin.

"J'y viens, mais avant toute chose : puis-je utiliser vos toilettes ?"

Je lui indiquai le couloir conduisant vers les autre pièces, en lui précisant de prendre la deuxième porte à gauche.

Quand s'engouffra dans le couloir et quitta mon champs de vision, je me dit que c'était une personne étrange. Je comptais inconsciemment les pas qui faisaient écho. Un, deux, trois...

... sept, huit, NEUF ?

Mon esprit quelque peu apathique se réveilla avec une grande poussée d'adrénaline quand je me rendit compte qu'il était allé plus loin que la porte des toilettes dans le couloir — que l'on atteignait en cinq pas, maximum. Je me levai et me précipitai à sa suite.

Comme je m'en doutais, je ne le trouvai pas aux toilette,