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Je ne sais pas. Et je ne pourrais pas moins m'en soucier. La seule expérience est au-delà de toute préoccupation.
Je ne sais pas. Et je ne pourrais pas moins m'en soucier. La seule expérience est au-delà de toute préoccupation.
Mais fatalement, je finis par me stopper. Je m'arrête net au milieu de ce paradis. Ils arrivent. Je le sais. Je le sens.
Je ferme alors les yeux et laisse mon regard prendre le dessus. Je me met à courir, sans savoir où aller, le visage, mes bras et mes jambes nus fouettés par les autochtones qui ne peuvent m'éviter.
Je m'en veux. Mais je n'ai pas le choix. Je ne peux pas les laisser mettre fin à mon idylle. Je ne me laisserai pas rattraper.
Quand je rouvre les yeux, je suis nul part. Je ne reconnais pas la végétation autour de moi. C'est normal après tout, c'était le but. Mais maintenant qu'on me force à fuir, maintenant que le charme est rompu, je n'arrive plus à apprécier sa beauté.
Je marche, ne sachant trop que faire, et finis par arriver dans un genre de clairière. Une clairière qui est réellement magnifique, un îlot de clame enrobé d'un gradient de fleurs, le tout couronnée d'une canopée arborescente multicolore.
Cette beauté me surprend tant, que j'en oublie mon désir d'échappée. Je ne suis ramenée à la réalité que par le bruissement discret et pourtant croissant d'une masse se déplaçant dans le fourrés, dans mon dos.
Comment font-il pour me pister ainsi ? Par magie, probablement. Ça veut dire que je suis perdu, que je n'ai nul part où aller.
Penser que tout cela me sera bientôt ôté, penser que je serai jugée pour n'avoir succombé qu'à mon désir de sérénitude contemplative, penser qu'à cause de moi, des gens souillent ce jardin fabuleux de leur gauche présence, ça me rend si triste que je suis en larme au moment où mon poursuivant entre dans la clairière.
Il est seul. Un homme. En armes. Il n'a pas d'armure -- l'a sans doute retirée avant d'entrer dans le jardin. Il a la démarche grossière comme il essaie de ne pas trop perturber la végétation avec ses énorme bottes, et sa lance s'empêtre régulièrement dans les branche des arbres.




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Il s'apprête à planter sa lance dans le sol, mais quand il abaisse son regard et se rappelle là où il se trouve, il se ravise et la pose délicatement sur la terre meuble.
Il s'apprête à planter sa lance dans le sol, mais quand il abaisse son regard et se rappelle là où il se trouve, il se ravise et la pose délicatement sur la terre meuble.
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Ma dernière pensée va à mes parents. Qui ne m'ont jamais appris à nager.

Version du 4 mai 2023 à 15:30

Une idylle solitaire
RecueilPetit Jardin en Fleur
TypeNouvelle
ÉtatBrouillon

Une idylle solitaire

Note de l'autrice : dans ce texte sont brièvement décris quelques handicaps. Ils reflètent le point de vue de la narratrice qui, par ses propres biais, dégrade la teneur de l'un d'eux. À l'attention de la lecteur·ice de cette nouvelle : être sourd·e n'est pas une une "incommodité", c'est un handicap.

Année 668 du Premier Âge.

Le regard... Le regard est le principal vecteur des émotions que nous ressentons.

D'aucun ne serait pas d'accord avec cela. Après tout, l'ouïe est aussi un sens primaire, ayant beaucoup d'importance dans l'appréciation du monde qui nous entoure. Mais même si on ferme les yeux pendant qu'on nous raconte une histoire ou qu'on se délecte les sons que la nature nous offre, on ne peut s'empêcher de voir. On ne peut empêcher les images d'apparaître sous nos paupières. La vue est le sens principal de l'humanité.

Mais plus que la vue, le regard. Le regard est la personnification de la vue, un avatar que l'on projette autour de soi, une caresse que l'on fait glisser sur les reliefs qui s'offrent à nos yeux, comme un drapé de soie qui effleure la courbe d'une hanche.

C'est pour cela que, même quand le regard est masqué, il suscite nombre d'émotions. Être sourd est une incommodité. Être aveugle est le plus sévère des handicaps. À quoi ressemble la vie de ceux qui sont aveugles de naissance ?

Les poils se hérissent sur mes bras. Je suis entourée de brume. Ce n'est pas une purée de pois, un brouillard qui obstrue la vision d'un gradient flou, comme c'est souvent le cas sur les rives du lac au cœur duquel se trouve l'île que je suis en train d'explorer. La brume qui m'enveloppe est presque surnaturelle, comme une fumée, dense mais statique, sensiblement palpable mais impossible à dissiper. Elle est blanche, presque lumineuse. Elle agit comme de fines cloisons guidant ma progression au cœur de ce jardin, sans aucun doute le plus beau jardin du monde. Elle soupire dans mon cou sa brise glaciale qui éveille en moi des frissons haletants.

Cette exploration est merveilleuse, car surgissent régulièrement, au fil des murs de brume que je traverse, les plantes les plus somptueusement raffinées que j'ai jamais vu. La végétation n'est pas artificielle, comme dans la plupart des jardins. On voit que de la terre est douce et riche, que les plantes s'étendent et poussent à loisir, mais ce n'est pas non plus le chaos sauvage que l'on voit dans une vulgaire forêt, mais c'est comme si chaque végétal, respectueux de la somptueuse beauté de ses congénères, laissait sciemment à ceux-ci la place d’épanouir leurs feuilles volages et leurs organes turgescents.

Il est difficile de relater la perfection. On pourrait croire qu'il suffirait de décrire les merveilles qui ornent le jardin avec un lyrisme fringant, mais ce ne serait qu'une pâle tentative reproduction à laquelle il manque l'essence de ce qui la rend si parfaite. Comme si lire une pièce de théâtre était une bonne appréciation de celle-ci. Non, le théâtre est une représentation. Le théâtre se vit.

Tout comme ce jardin, il faut le vivre. Comme un échange répété mille fois, à travers tous les autres jardins qu'on a déjà parcourus. Comme une improvisation aussi surprenante qu'alléchante, en découvrant à quel point celui-ci est singulier. Comme un symphonie qu'on a joué tant de fois mais qui reste insaisissable, car chaque interprétation est fondamentalement unique. Comme un crescendo puissant, dont on connaît l'issue pinaculaire mais qu'on crève quand même de découvrir et redécouvrir.

Je peux néanmoins retranscrire mentalement ce qui rend ce paysage à la fois si unique et si parfait. Il y règne un silence absolu. Pas un silence sourd, car un bruissement feuillu rythme ma progression. Pas un silence de mort, car la vie n'est pas absente, elle est simplement discrète, rampant sous une feuille ou bourdonnant derrière un tronc. C'est un silence serein, comme si toute la nature était à l'écoute, dans une contemplation d'elle-même. Le même silence que celui où on retient son souffle, juste avant un hurlement de plaisir.

Les fragrances qui m'enveloppent sont enivrantes, à la fois subtiles et riche. Si cet engourdissement de quiétude, celui que l'on ressent à travers tout son corps quand notre esprit n'a pas encore tout à fait quitté les étoiles et n'est pas encore revenu se loger entre les draps mouillés, avait une odeur, ce serait celle-ci. Cet enivrement est désinhibant, presque psychotrope. Il rend la contemplation naïve et permet à l’œil de se réjouir de la simplicité de ce spectacle coloré, jouant d'ombres et de lumière, de masques et de révélations brumeuses, avant de s'attarder sur la complexe intrication de cette nature luxuriante.

Oui, ce jardin est un chef-d’œuvre pour le regard.


J'ai l'impression de voyager au cœur d'un songe, de surprise en étonnement, d’apaisement en émerveillement.

Pourquoi ce jardin ? Comment ce jardin ?

Je ne sais pas. Et je ne pourrais pas moins m'en soucier. La seule expérience est au-delà de toute préoccupation.

Mais fatalement, je finis par me stopper. Je m'arrête net au milieu de ce paradis. Ils arrivent. Je le sais. Je le sens.

Je ferme alors les yeux et laisse mon regard prendre le dessus. Je me met à courir, sans savoir où aller, le visage, mes bras et mes jambes nus fouettés par les autochtones qui ne peuvent m'éviter.

Je m'en veux. Mais je n'ai pas le choix. Je ne peux pas les laisser mettre fin à mon idylle. Je ne me laisserai pas rattraper.

Quand je rouvre les yeux, je suis nul part. Je ne reconnais pas la végétation autour de moi. C'est normal après tout, c'était le but. Mais maintenant qu'on me force à fuir, maintenant que le charme est rompu, je n'arrive plus à apprécier sa beauté.

Je marche, ne sachant trop que faire, et finis par arriver dans un genre de clairière. Une clairière qui est réellement magnifique, un îlot de clame enrobé d'un gradient de fleurs, le tout couronnée d'une canopée arborescente multicolore.

Cette beauté me surprend tant, que j'en oublie mon désir d'échappée. Je ne suis ramenée à la réalité que par le bruissement discret et pourtant croissant d'une masse se déplaçant dans le fourrés, dans mon dos.

Comment font-il pour me pister ainsi ? Par magie, probablement. Ça veut dire que je suis perdu, que je n'ai nul part où aller.

Penser que tout cela me sera bientôt ôté, penser que je serai jugée pour n'avoir succombé qu'à mon désir de sérénitude contemplative, penser qu'à cause de moi, des gens souillent ce jardin fabuleux de leur gauche présence, ça me rend si triste que je suis en larme au moment où mon poursuivant entre dans la clairière.

Il est seul. Un homme. En armes. Il n'a pas d'armure -- l'a sans doute retirée avant d'entrer dans le jardin. Il a la démarche grossière comme il essaie de ne pas trop perturber la végétation avec ses énorme bottes, et sa lance s'empêtre régulièrement dans les branche des arbres.







Il s'apprête à planter sa lance dans le sol, mais quand il abaisse son regard et se rappelle là où il se trouve, il se ravise et la pose délicatement sur la terre meuble.



Ma dernière pensée va à mes parents. Qui ne m'ont jamais appris à nager.