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Comme cela faisait un certain temps maintenant que le seigneur Luder était aux jardins, il décida de rentrer.
Comme cela faisait un certain temps maintenant que le seigneur Luder était aux jardins, il décida de rentrer.


Quand il arriva aux abords de la
Quand il arriva aux abords du parvis du palais, il fut surpris d'être accosté par la bardesse Gardénia, qui lui accorda une salutation en affichant un sourire que Luder hésitait à qualifier de carnassier.
 
"Oh ! Dame Gardénia ! La représentation est-elle déjà finie ?"
 
"De toute évidence, mon cher. J'ai été attristée de ne pas vous voir parmi les spectateurs. J'avais cru comprendre que vous étiez féru d'arts musicaux ?"
 
"Certes, mais je avoue avoue en toute confidence que le théâtre est un art dont l'appréciation m'est interdite, à mon grand désarroi. Soyez certaine que s'il m'avait été possible d'apprécier votre musique à l'aveugle durant la représentation, sans avoir à être témoin du jeu lui-même, je n'y aurait coupé."
 
"J'en suis honorée, seigneur Luder. Daignerez-vous m'accorder une petite promenade reposante dans les jardins que vous étiez sur le point de quitter ? J'avais grande hâte de pouvoir converser avec moi."
 
Luder se concerta avec lui-même un court instant, se demandant s'il n'avait pas mieux à faire, mais il jugea que ce serait une bonne opportunité d'en apprendre plus sur elle et ses intentions.
 
"Avec joie ! Je ne sais pas si vous avez déjà eu l'occasion de les parcourir, mais la saison est parfaite pour passer un moment agréable."
 
La bardesse rit avec douceur.
 
"Si ce n'était pas le cas, cette cour ne mériterait pas de s'appeler la ''Cour de Printemps''."
 
Il marchèrent sur les graviers blancs qui recouvrait les étroite allée sinueuse du jardin. Gardénia n'avait pas son instrument avec elle, mais elle s'autorisa à fredonner une pavane, qui bien que datée, était interprétée sur une gamme moderne avec de fort agréables variations.
 
"Je suis curieux," demanda le Luder après le premier couplet, "ce qui attire votre intérêt à moi. Sans doute n'est-ce pas uniquement ma notoire musicophilie, si ?"
 
Gardénia un regard contemplatif vers le ciel bleu moucheté de petite taches blanches.
 
"Oh ! Il y a plus que cela. Je vous avoue que je porte une grande curiosité à l'attention des arcanistes qui apprécie la musique. Ils sont bien différents des autres musicophiles, et toute conversation que j'entretiens avec eux m'élève en tant que bardesse."
 
"Tiens donc ? Je peine à en discerner la raison. Daignerez-vous m'éclairer ?"
 
Gardénia pirouetta vers lui en écartant les bras de manière théâtrale, ce qui fit virvolter les manches larges et tombantes de son habit léger. Elle s'était vêtue plus chaudement que la veille, avec une jupe traînante et un veston-trench ouvert et brodé, et s'était coiffée d'un fin béret, le tout toujours à ses couleurs blanche et turquoise surmontées par le rose de son physiom à forme de ruban.
 
"La science, pardis ! Les alchimiste et le arcanistes — surtout ces derniers il faut bien dire — ont une approche très théorique de la musique, à tel point que l'on peut parler des heures durant d'une unique pièce sans que mon attention se délite, et leurs compositeurs usent souvent de gammes et de formations atypique ! Un vrai plaisir !"
 
Elle repris sa marche.
 
"Et parmi tous les "convives présent, qui d'autre que vous avec qui avoir ce genre de conversation ?
 
"Sans parler que d'être vue en votre compagnie me met en joie, étant donné la fraîcheur de votre style."
 
Elle parcouru la tenue de Luder de l’œil avec un sourire taquin, appréciant visiblement ces couleurs. Sourire qui s'élargit quand son regard se posa sur l'''achillée du crépuscule''. Mais elle ne releva pas.
 
"Sans compter que vous êtes beaucoup plus accessible que votre épouse, et que le seule de vos compatriotes à être présent, le seigneur Farel — le connaissez-vous bien ? — a brillé par son absence depuis le repas."
 
"Et quid des autres traditions ? Leurs conversations musicales sont-elles moindrement agréable ?"
 
Elle prit un air pensif.
 
"Toute proportion gardée, oui, c'est le cas. Les interprètes — c'est la première nation à venir en tête, quand il est question d'art — sont très imbus de leur propre culture, et ils ont une certaine tendance — vous m'excuserez de ma grossièreté — à l'onanisme. Cela a vite fait de m'ennuyer."
 
Luder ne releva pas ladite grossièreté, mais il n'en pensa pas moins. En présence de témoins, il aurait faussement pris un air outré, mais les plus proches courtisans n'étaient pas à portée de voix.
 
"Les clercs ont des chants et des formations très codifiés. Trop, même. C'est dommage. Quant aux diseurs, ils ont un rapport très pécuniaire avec l'art.
 
"Les shamans ne sont pas bon public et c'est toujours angoissant de se dire qu'une parole de travers peut vous faire arrêter, en fonction de la ville que vous visitez.
 
"Les druides, par contre, sont toujours un très bon public. Mon préféré, s'il en est. Mais ils n'ont pas une grande culture musicale. Il n'y a vraiment qu'avec les arcanistes et, dans une plus petite mesure, les alchimistes, avec qui j'aime vraiment passer du temps."
 
Elle s'arrêta pour réfléchir. "En vous disant cela, je me rend compte que j'ai peu d'opinion sur la tradition Perfectionniste. Je devrais y donner quelques concerts, à l'occasion."
 
"Et le guides ?", demande Luder.
 
"Les guides ? C'est amusant, je ne me suis jamais posé la question. Je suppose que c'est parce qu'il n'ont pas de culture propre et suivent généralement celle du pays dans lequel ils vivent. Je n'ai jamais eu de public composé majoritairement de guide. Cela n'a d'ailleurs pas beaucoup de sens, on n'en trouve que très peu dans chaque communauté."
 
Ils conversèrent ainsi de musique jusqu'à la fin de l'après-midi. La causerie était si agréable que Luder se surpris à tempérer son opinion au sujet de la bardesse, se disant que peut-être elle était moins retorse qu'elle avait paru la veille. Mais il se ressaisit et se dit que c'était probablement le but de la conversation qu'elle lui donnait présentement. Il n'oubliait pas la zinnia.
 
[hommage à Edson-père]
----[conversation avec Farel]
----[fuite de Gardénia au petit matin, tentative d'assassinat et arrestation de Farel]
----[cour du cercle Akva]
----[entretien avec la seigneure de la Linguistique]

Version du 22 février 2024 à 16:19

La cour de printemps
RecueilPetit Jardin en Fleur
TypeNouvelle
ÉtatBrouillon

La cour de printemps

Stellaroc, printemps de l'année 408 du Deuxième Âge.

Ce n'était pas la première fois que le seigneur Luder participait à la célèbre Cour de Printemps de la cité de Stellaroc. C'était même son terrain de jeu préféré.

Pendant que sa femme —la titulaire des terres de Primera et seigneure en titre de la cité de Passy— s'occupait de toute la mascarade protocolaire, lui vagabondait avec un air enjoué pour saluer tous ses homologues qui étaient présent dès le matin du premier jour de la cour.

Les halls du château de Stellaroc avait des airs de campus universitaire, et pour cause c'en était un, non sans rappeler au seigneur Luder la grande Université de Ketarop-sur-Lac au sein de laquelle il avait passé quelques années de sa vie à étudier l'économie et la logistique.

En tant que consort, l'étiquette était plus laxiste envers lui et il pouvait saluer avec amicalité les seigneures et les seigneurs qu'il appréciait le plus. Ainsi fut-il heureux de constater que son vieil ami, le seigneur Farel, était lui aussi présent pour l'ouverture de la cour.

"Wolas, mon ami !" s'exclama le seigneur Farel à la vue de son compatriote. "Comment allez-vous !"

"Ça fait du bien de voir autre chose que des courtisans de la tradition Divine, pour une fois !" répondit l'intéressé en ayant bien fait attention à ce qu'aucun des courtisans mentionnés ne fut à portée de voix.

"Je comprends ! Moi-même suis encore éreinté de la Fête de l'Exaltation à la cour de l'Enclave, fut ce-t-elle finie depuis deux mois !"

Il échangèrent des amitiés, en commentant notamment qu'ils étaient les deux seuls courtisans arcanistes de l'assemblée, à leur grand dam, mais que les cours alchimiques étaient bien plus agréables que leurs cousines des pays voisins — les cours shamanes étaient trop rustes et les cours de la Foi protocolaires à outrance.

Ils avaient comme à leur habitude déjà dénombré tout·es les grand·es seigneur·es qui devaient y être présent. Bien entendu le seigneur Edson, leur hôte, seigneur de Stellaroc et dirigeant de la tradition Alchimique, ainsi que trois de ses cinq vassaux directs.

En terme de représentants étrangers, on pouvait voir les deux seigneurs de la Foi dont les cités étaient sur la Mer Intérieure, et qui donc entretenait des relations privilégiées avec Stellaroc et toutes les villes portuaires du Golfe Étoilé. Pour la même raison, la seigneure shamane du Cercle Akva était également parmi les convives, ainsi que le seigneur diseur de Uestea.

Mais la présence la plus surprenante de tous ces dignitaires était celle de la seigneure Am-Eldassif, dirigeant de Oasis et de tout la tradition Linguistique. Elle avait dû faire en bateau un trajet qui contournait toute la côte désertique, passait l'Isthme de l'Ombre et traversait la Mer Intérieure dans toute sa largeur, aussi c'était un grand honneur pour la cour. Sans doute avait-t-elle quelque affaire importante a discuter avec le seigneur Edson.

Aucuns des grands seigneurs de l'Expressionnisme, du Perfectionnisme ou du Druidisme n'étaient présents en personne, sans doute freinés par la distance terrestre qui séparait leur nation de celle de l'Alchimie — bien que le pays druidique soit directement relié au Golfe des Élément par un cours d'eau, mais d'aucun savait que voir un seigneur majeur du Druidisme à une cour de complaisance était chose rare.

Bien entendu, tous les grands seigneurs absents avaient envoyé une délégation les représentant, et d’innombrables seigneurs et seigneures mineures était présentes, mais ni les uns, ni les autres n'intéressaient le seigneur Luder.

Luder nota qu'il était le seul seigneur consort ayant fait le trajet avec sa femme. C'était un luxe qu'il pouvait se permettre car leur dauphine était largement en âge de gouverner, et ils aimaient la laisser aux commandes de leur fief quand ils étaient absent — la seigneure Ester Luder était vieille, et elle songeait sérieusement à abdiquer, autant commencer doucement la passation du pouvoir.

Le seigneur Edson, hôte de la cour, n'était toujours pas visible parmi les convives. L'ouverture officielle de la cour était prévue pour midi, et le protocole exigeait qu'il laisse ses invités discuter sans lui jusque là.


Peu avant midi, alors qu'on attendait l'arrivée imminente du seigneur des lieux, un invité surprise fit son entrée.

Les plus jeune courtisan ne connaissait pas son visage mais Luder le reconnu presque immédiatement : il s'agissait Tété-Hémobré, un Juge Suprême particulièrement influents dans la région du Triant.

Il portait un long tabard noir frappé du Point-Moyeux, le symbole des guides, sur une armure lourde. Sur ses spalières de cuir noir avait été cousu au fil d'argent l’Œil de Nacre, le symbole des Juge Suprêmes — qui, Luder n'arrivait pas à en démordre, ressemblait à un œil dont la pupille était représentée par le Point-Moyeux, ce qui le pertubait en terme de symbole. Il avait une hache démesurée —un kora— dans le dos, et faisait partie des rares classes sociales pouvant se permettre ce genre d'accessoire inopportun à la cour d'un seigneur majeur.

Le Juge Suprême avançait avec solennité sur le tapis pourpre qui traversait la halle dans sa longueur, tous les regards tournés vers lui. Sa brigandine qui descendait jusqu'aux mollets claquait sur ses grèves de métal à chacun de ses pas, résonant dans le silence qu'avait invoqué son arrivée inattendue.

Il avait jeté un froid.

Il s'arrêta au milieu de la salle, toisant sans mot dire l'ensemble de l'assemblée.

Il ouvrit la bouche pour parler, mais fut interrompu par la clameur d'une viole, quelques longues notes tristes, perçant le silence.

La musique provenait des tentures qui couvrait l'accès aux parties privée du château, juste derrière le trône. Tous les regards s'y tournèrent.

L'instrument se lança alors dans des envolées lyriques, trahissant une virtuosité notable.

On s'attendait à voir apparaître le seigneur Edson, mais ce fut une toute autre personne qui surgit de derrière les tentures.

La femme qui se révéla était incroyablement jeune. La vingtaine, tout au plus. Sa grâce fut la première chose qui frappa l'assemblé car elle arriva en faisant une pirouette sur la pointe de son pied, avant d'enchainer quelques autres pas de danse et entrechats.

Puis, on se rendit compte que c'était elle qui jouait de la viole. Sa virtuosité s'accentua à mesure qu'elle enchaînait des notes de plus en plus rapides, sur des pas de danse de plus en plus véloces et complexes.

Le reste de sa beauté se révéla à mesure qu'on détaillait son visage parfait, son teint doux souligné par un maquillage simple mais splendide, ses yeux en amande approfondis par le noir intense de ses iris, ses membres fins et gracieux, ses parures faites rubans de soies teintés de blanc et de toutes les nuances de turquoise dégradées, virevoltants au fil de son ballet.

Pour couronner le tout, deux très longs rubans incarnats tournoyait autour d'elle, semblant naître au cœur de ses cheveux au niveau des tempes, qu'on identifia rapidement comme étant son physiom.

La bourrée dura quelque minutes, au cours desquelles elle suivit un lent parcours la menant au centre de la halle. Le son de la viole enivrait tous les convives et le silence qui l'accompagnait était aussi religieux que contemplatif.

Ce fut à l'issue de quelques virevoltes autour du Juge Suprême qu'elle conclut par une longue note soutenue sur un puissant vibrato qui, Luder l'entrevit, arracha une larmichette aux plus sensibles des convives.

Elle garda la pose pendant l'instant de quiétude qui s'ensuivit, gracieuse, une jambe tendue vers l'avant, la pointe effleurant le sol, les bras en suspension dans l'air, le menton levé, les yeux humide et le visage perdu dans un état d'émoi.

Un rugissement d'applaudissement éructa de la foule quand elle se relâcha sa posture et afficha un sourire éblouissant.

Elle s'inclina une douzaine de fois pour remercier ce triomphe puis, quand le silence fut revenu, prit la parole avec une voix aussi puissante que douce.

"Merci à vous pour cet accueil digne des plus plus seigneurs de ce monde ! Je n'ai nul besoin de me présenter, vous savez tous qui je suis !"

Elle doit aussi être une excellente chanteuse, pensa le seigneur Luder en l'écoutant.

Les moins dignes des convives crièrent son nom, "Gardénia ! Gardénia !", avec un laisser-aller qui fit naître des rictus gênés sur les lèvres des plus haut seigneurs — mais pas du seigneur Luder, qui avait un flegme à toute épreuve.

Bien sûr que tout le monde l'avait reconnue, c'était la bardesse la plus convoitée du monde, ces dernières années. Elle était tout à fait identifiable par le symbole tracé à l'or sur la table d'harmonie de sa viole et qui ornait ses oreilles en des boucles d'argent : un papillon posé sur une gardénia.

Le seigneur Luder savait qu'il s'agissait d'une gardénia, car c'était de cette fleur qu'elle avait pris son nom. Peu de gens connaissait l'existence de cette plante, aussi aujourd'hui le mot gardénia était plus associé à la personne qu'à la fleur.

Luder réfréna un sourire. C'était la première fois qu'il voyait la bardesse en personne mais il l'avait beaucoup étudiée. Il savait que son pseudonyme n'était pas choisi au hasard, ainsi avait-il entre autres découvert que la gardénia était symbole de beauté, mais aussi du secret dans certaines culture.

Il jeta un œil à son ami le seigneur Farel, mais le regard de celui-ci, braqué sur l'artiste, ne trahissait aucune émotion.

"J'ai aujourd'hui la chance, que dis-je, l'insigne honneur d'être non seulement l'invitée d'honneur de la Cour de Printemps, mais également de vous introduire votre hôte: le grand, le splendide seigneur de Stellaroc, grand dirigeant de la tradition alchimique, Aras Edson !"

Tel le souverain qu'il était, le seigneur Edson surgit de derrière les teintures avec une grâce royale, écartant les pans des deux mains, un sourire suffisant aux lèvres. Il rejoignit son trône avec une démarche de majesté.

La théâtralité de l'annonce enjoignit les courtisans à applaudir son arrivée, mais les clappements étaient notablement plus discrets que la clameur triomphale qu'avait reçue Gardénia.

Cette dernière s'inclina bien bas devant le souverain, les bras écartés dans une révérence d'artiste. Le seigneur des lieux, avant de s'assoir sur son siège fait d'or et de bois rares, pris la parole.

"Je vous souhaite à toustes la bienvenue à Stellaroc ! J'espère que le voyage jusqu'ici à été plaisant, et remercie les plus éloignés d'entre vous d'avoir fait le trajet en personne."

Cette phrase s'accompagna d'un regard appuyé à l'attention de la seigneure d'Oasis, dame Am-Eldassif.

Il continua son discours d'accueil en présentant les différentes festivités qui étaient organisée pour les jours suivants — ce qui n'intéressait pas le moins du monde le seigneur Luder, qui était venu pour une toute autre raison — avant de remercier individuellement chaque seigneur et chaque délégation, accompagné à chaque fois d'un compliment creux.

La seigneure Luder avait rejoint son époux au début du discours, et juste après que le seigneur Edson ait présenté le couple à l'assemblée, elle lui glissa dans la main un petit papier chiffonné, que son époux s'empressa de ranger dans la poche de sa redingote.

Quand le discours d'introduction fut terminé et que les convives recommencèrent à se disperser pour finir de saluer les uns et les autres, Luder jeta un coup d’œil rapide au petit papier.

Une simple lettre y était écrite : G.


Le soleil jetait des rayon rose à travers les hautes fenêtres de la halle quand le seigneur Luder avait finit de saluer tous les convives ait échangé quelques paroles de complaisance avec eux.

Il était fatigué de cet exercice — qu'il considérait être le devoir de sa femme seule — mais il ne souhaitait pas faire de vague et se comportait comme le préconisait l'étiquette.

Il jeta un coup d’œil à la seigneure Luder. Cela faisait une heure qu'elle échangeait des banalités avec le seigneur de Port-Arcane tout en forçant un sourire qui devait paraître naturel, et il eut une pointe de compassion pour elle, pour qui l'étiquette était encore plus stricte.

Mais il ne s'attarda pas et rejoignit son ami et compatriote le seigneur Farel.

Celui-ci changea son sourire de courtisan en un sourire sincère quand il le vit arriver à sa rencontre.

"Alors, Wolas, qu'avez-vous pensé de la prestation de la splendide bardesse qui nous fait l'honneur de sa présence ?"

"Mon ami, j'en suis tellement ébloui que je songe à m'intéresser un peu plus à ses prestations."

Les deux regards se tournèrent vers l'intéressée, qui encensait l'assemblé d'un concerto calme évoquant la saison naissante, accompagné de l'orchestre de chambre attitré à la cour de Stellaroc. Le seigneur Luder n'en fut pas sûr, mais il lui sembla accrocher son regard pendant un très court instant.

"Vous êtes toujours un grand amateur de musique, à ce que je vois. Je ne voudrais pas vous importuner avec ce menu sujet maintenant, mais que diriez-vous d'en discuter avant le coucher, ce soir ?" Il s'approcha de Luder avec un rictus complice, sans pour autant baisser la voix. "Mon valet a apporté une bouteille issue des meilleurs cépages de Mirid, et vous êtes la personne qui saura l'apprécier au mieux, j'en suis sûr."

Le seigneur Luder lui rendit son sourire complice en inclinant la tête.

Ayant entendu la fin de leur conversation, le seigneur Edson lui-même se joignit à eux en claquant des doigt à l'intention d'un de ses serviteurs.

"Messieurs ! Je vous entends parler de bon vin, alors permettez-moi de vous faire goûter le nectar que l'on fait pousser sur les plateaux des Monts Dichos !"

Il fit un geste d'amitié, levant ses mains comme pour leur toucher le dos, sans le faire réellement bien sûr, ce serait contraire à l'usage.

Un domestique arriva avec un plateau comportant trois flûte de vin vermillon, qui dégageait une odeur doucement âcre, ainsi qu'une flopée de petit fours qui faisaient office de repas pour toute cette première journée.

Le seigneur Edson distribua les verres et commença à encenser les vignerons du pays d'à côté, qu'il avait lui-même subventionné en tant que dirigeant de la nation, parce que vous comprenez, c'est un climat unique qui règne sur ces montagnes, et ce sont les meilleurs cépage de l'Alchimie et ce serait dommage de gâcher ça.

Ils discoururent ainsi jusqu'à l'arrivée du soir, bercés par la douce musique de chambre qui nimbait la halle, entourés des discussions qui s'amenuisaient au fil de la fatigue qui commençait à reparaître sur le visage et dans les paroles des courtisans éreintés de leurs trajets respectifs.

Ils furent finalement sauvés par le seigneur shaman qui n'avait pas encore eu l'occasion de présenter en personne sa plus jeune fille au seigneur de Stellaroc, et Farel put enfin conclure l'échange de tantôt en signalant à Luder qu'il lui enverrait son valet au moment opportun.

Le seigneur Luder entreprit de se rejoindre sa femme pour terminer la première journée de cour en sa compagnie — lui-même sentait la fatigue poindre — mais fut interrompu dans sa course pas une autre des convives.

Il s'agissait de Gardénia, qui s'était visiblement éclipsée de l'orchestre. Luder en fut surpris. Il jeta un coup d’œil au musiciens, et constata qu'un autre instrumentiste avait remplacée la bardesse. La transition avait si bien orchestrée que personne n'avait eu l'air de s'en être rendu compte.

"Vous êtes le seigneur Luder de Passy, si je ne m'abuse ?"

Bien sûr qu'elle avait retenu son nom et son titre, pensa Luder. Les bardes sont des courtisans à part entière, et celle-là était particulièrement douée en tant que telle, si les rumeurs était vraie. Elle n'aurait aucun mal à retenir le patronyme d'une quarantaine de convives.

Le seigneur Luder lui sourit et la félicita pour ses prestations, l'affligeant de compliments courtisaniers — une expression à lui, qui lui servait à décrire des paroles aussi insipides que détaillées — afin de se parer d'une armure d'étiquette.

Mais Gardénia ne s'y heurta pas, et poursuivi la discussion avec une familiarité qu'aucun vrai seigneur ne se serait autorisé, rappelant à Luder que malgré leur langue agile et leur familiarité avec l'étiquette noble, les bardes sont malgré tout de simples bourgeois.

"Vous êtes sacrément populaire mon cher ! Saviez-vous que vous avez une admiratrice secrète ? Elle m'a d'ailleurs chargée de vous remettre ceci."

Dans un tour de passe-passe qu'il n'avait pas vu venir, Gardiéna sorti de sous les rubans qui enrobait ses vêtements une fleur pourpre fraîchement coupée.

Luder ne la reconnaissait pas. Elle avait un pistil démesuré dont les anthères ressemblaient à des petite fleur jaunes. Ses pétales étaient triangulaires et était réparties à plat tout autour du calice.

Sans attendre, Galénia accrocha la fleur à la boutonnière de Luder et ajouta "Bien entendu, inutile de me demander de qui elle provient, une de mes attributions en tant que bardesse consiste à conserver une touche de mystère."

Elle conclut le très court échange d'un clin d’œil et disparut derrière les teintures par lesquelles elle avait fait son apparition quelques heures plus tôt.


"Messieurs, Château Scintillant rouge 389. Très bonne année."

"Merci Esteven. Servez-nous deux verres que l'on puisse déguster ça."

Le valet fit retentir le son rond et délectable du bouchon tiré hors de la bague de la bouteille avec une expertise entraînée, et versa le liquide sombre dans deux tulipes estampillées du blason de la maison Farel.

"Ça fait plaisir de vous revoir, Esteven," salua avec sympathie le seigneur Luder. "Je constate avec envie que l'âge n'a pas émoussé votre dextérité."

"Je fais de mon mieux pour servir comme il se doit les hautes gens de notre nation, monseigneur."

Il s'inclina, puis quitta le petit boudoir dans lequel les deux seigneurs s'était installés.

"Très bien," lança le seigneur le Luder en reprenant son sérieux. "Vous êtes sûr qu'on ne sera pas dérangés ici ?"

Le seigneur Farel saisit son verre avec légèreté et gourmandise. "Esteven va monter la garde devant la porte, ne vous inquiétez pas, mon ami. Essayez plutôt de vous détendre. Nous avons beaucoup de choses à nous dire."

"En effet. Entrons dans le vif du sujet. Comme vous l'avez deviné, c'est bien elle notre cible. Et ça ne nous facilite pas la tâche."

"Votre femme a pu l'identifier alors ?"

"Évidemment. La délégation de Huluk-du-guide est venue spécialement pour ça, après tout."

"Bien bien. En effet, ça complique les choses. C'est même, d'après moi, la pire issue possible."

"Mais logique," continua Luder, "qui de plus à même qu'une bardesse pour glaner des informations et leur faire passer la frontière sans le moindre soupçon ? Maudite soit l'immunité diplomatique des bardes."

Comme il commençait à être bien aéré, le seigneur Luder trempa ses lèvres dans le vin. Il se détendit instantanément à la saveur douce mais complexe de l'alcool arcaniste. Il sentit une vague d'ivresse lui monter lentement à la tête. Rien à voir avec le vin léger et fade de Dichos. Il perçut de la prune, de la myrtille, une très légère amertume herbeuse typique des cépages avoisinants le Marais Fertile, et un subtil arrière goût de noix.

Le seigneur Farel fit rouler la liqueur dans sa bouche, inspira de l'air pour bien saisir toutes les saveurs, avant d'avaler à son tour.

Luder reprit. "Comme vous le savez, l'objectif de l'espionne — Gardénia — n'est pas Stellaroc, mais elle est sensé y retrouver une délégation supposée lui transmettre les quelques informations qui lui manquent, avant de les livrer ailleurs, dans un autre pays."

Farel hocha la tête. "Je suis désolé que notre réseau d'espions n'ai réussi à avoir plus d'informations sur celle-ci, mais il y a de fortes chances pour qu'il s'agisse d'une délégation interprète ou clergesse. Voire peut-être diseuse, mais peu probable."

Luder haussa les sourcils. "Les perfectionnistes sont hors de tout soupçons ?"

Farel acquiesça. "Oui, on nous a confirmé que les espions adverses étaient sensés se rejoindre à la frontière de l'Expressionnisme et de la Foi. Si un espion perfectionniste avait traversé la nation expressionniste, je l'aurais su. Les suspects dans cette entreprise sont l’Expressionnisme, la Foi et la Linguistique."

"Bravo à vos alliés de Miesfant d'avoir empêcher cette réunion, d'ailleurs."

"Oui, sans ça nous n'aurions pas cette opportunité aujourd'hui."

Chacun se plongea dans une réflexion silencieuse tout en profitant du vin.

"Comment procédons-nous, alors ?", s'enquit le seigneur Farel.

"Je suggère que vous vous occupiez de savoir où Gardénia va se diriger ensuite. Vous devriez pouvoir glaner ces informations de courtisans qui s'intéressent à sa carrière musicale. Les bardes ont cette tendance de voyager de cour en cour.

"Pour ma part, je me charge d'identifier qui possède les informations qui lui manque. Si j'arrive à les intercepter elle sera bloquée et ne pourra les livrer à ses commanditaires."

Le seigneur Farel s'inquiéta "Vous êtes sûr de ne pas vouloir inverser les rôles ? Vous êtes un musicophile notoire, ça vous aiderait à vous renseigner sur le trajet de la bardesse."

Luder hocha la tête. "J'en suis sûr, et pour une raison bien particulière." Il baissa les yeux sur la fleur toujours accrochée à sa boutonnière. Farel leva un sourcil intrigué, "Qu'est-ce ?"

"Un cadeau de notre espionne elle-même. Elle est passée me voir à la toute fin de la journée pour me la donner. Mais je ne connais pas sa signification."

"Un instant, on va vite être fixés." Le seigneur Farel se leva et alla toquer cinq coups à la porte. Un coup long, deux rapides, puis deux long.

Le valet entra derechef. "Monsieur ?"

"Esteven, êtes-vous capable d'identifier cette fleur et sa signification ?"

Le valet se pencha sur la boutonnière du seigneur Luder. Il effleura de sa main gantée les pétales, en prenant bien soin de na pas toucher la redingote du noble.

"C'est une Zinnia. Une fleur qui pousse à l'orée de la Jungle Interdite, près du pays de Tohuta, mais en plaine uniquement, pas dans les marais."

Il fit un effort de mémoire. "Si je me souviens bien, l'offrir a pour signification : Faites attention."

"Au premier degré bien sûr, ce n'est pas sensé être un avertissement" s'empressa-t-il d'ajouter.

Le seigneur Farel congédia le valet et repris sa place dans son fauteuil de velours.

"Ce n'est pas censé être une menace, mais bien sûr que c'en est une." conclut le seigneur Luder. "Voilà qui confirme qu'elle connait mon implication personnelle dans cette histoire."

Farel secoua la tête. "Ce n'est pas surprenant, ce sont des informations qui concernent votre maison qu'elle a volé."

Le seigneur Luder était incrédule. "Pourtant, ma femme est là pour servir de tampon et me permettre d'opérer en toute sérénité. Ça fait longtemps que c'est le cas et ça a toujours marché — jusque là. J'ignore comment elle a pu savoir que c'est moi le cerveau de l'affaire. Ça complexifie la partie."

"Que comptez-vous faire, au sujet de la fleur ? La garder serait un signe de soumission, en quelque sorte, et si les autres courtisans la reconnaissent, vous pourriez devenir la risée de la Cour de Printemps."

"À ce point ?" s'étonna le seigneur Luder.

"Oui," confirma Farel, "en terme de symbolisme, les enjeux sont toujours plus grands quand une bardesse est impliquée. D'aucun l'aura vu vous l'offrir, et sans parler de s'en débarrasser, il serait plus sage de lui fournir un genre de réponse.

"Comme par exemple une autre fleur à votre boutonnière ? C'est envisageable ?"

Le seigneur Luder secoua la tête. "Ce serait complexe. Je ne sais pas quelles fleurs je puis me procurer rapidement, ici, et il faudrait que ce soit raccord avec mes habits de demain. Afficher un cadeau n'induit aucune faute de style, mais si je 'répond' comme vous dites, il faut que je le fasse dans les règles de la mode.

"Cependant, je n'ai pas encore choisi les parures que je porterai demain. Je vais y réfléchir."

Un ange passa. Les deux compères étaient de nouveau en pleine réflexion, tentant d'anticiper les pions qu'ils pourraient chacun placer lors de la deuxième journée de la cour.

"Au fait," demanda le seigneur Farel, "ça ne me regarde peut-être pas, mais comment est-il possible que les informations que nos adversaires convoitent ont pu se retrouver séparées ainsi ? "

"Comme vous le savez, les détails du contrat secret que ma maison a conclu avec la ville de la Jetée ont été glanés au sein de celle-ci, à notre insu. Mais nos adversaires ont également besoin des détails logistiques de la livraison des marchandises, que nous avons déléguée à une de nos maisons vassales. Ces derniers ont été volés à la cour de Jatenna, et d'après ce qu'on a compris, l'espionne — la bardesse — était sensée les récupérer à la réunion que vous avez réussi à empêcher.

"Si elle n'a que la moitié des informations, ses commanditaires ne pourront pas faire de contre-proposition valable aux dirigeants de la Jetée et nous couper l'herbe sous le pied."

Le seigneur Farel prit un air grave. "Et pourquoi on ne la fait pas assassiner ? Vu la taille des enjeux, c'est une possibilité à envisager."

Le seigneur Luder s'indigna. "Vous n'y pensez pas ! Imaginez l'opprobre qui s’abattrait sur nos familles — et notre nation — si nous étions seulement inquiétés ! Et puis, on ne sait pas quelles précautions elle a prise. Visiblement, elle en sais beaucoup sur les dispositions que nous employons pour l'empêcher d'atteindre son but."

Farel balaya ainsi sa propre suggestion du revers de la main. "Vous avez raison. Ce serait stupide." Il laissa passer un silence. "Même en dernier recours ?"

"Oubliez, je vous dis. Le jeu n'en vaut pas la chandelle."

Le seigneur Farel changea de position sur son siège. Il était anxieux de la situation qu'ils croyaient bien en main et qui commençait sérieusement à leur échapper. On pouvait lire sur son visage qu'il se gardait quand même le droit de faire ce qu'il fallait en cas de dérapage.

Il avait moins à perdre et à gagner dans l'affaire que le seigneur Luder, mais comptait beaucoup sur la clôture de ce contrat pour redorer un peu de le blason de sa famille, qui gouvernait sur la Plaine Mirid et sur le Marais Fertile et qui se voyait en déclin depuis quelques décennies. La maison Luder avait eu recours à lui pour protéger le secret de cet échange, et plus que le paiement qui se verrait arrondir d'un beau bonus en cas de réussite, il en allait aussi de sa réputation auprès de son ami et de ses alliés de Miesfant.

"Reprenons depuis le début, pour avoir une vue globale de la situation, voulez-vous ?

"Un des vassaux du seigneur Salysium, dirigeant de la Jetée et gouverneur des Mille-Lacs, a découvert un ensemble de bijoux seigneuriaux datant du Premier Âge. Votre famille en a eu vent et vous avez personnellement conclu un accord secret avec lui pour les acheter dans le but de les faire identifier par vos archéologues et de les revendre, soit à la famille qui en est descendante, soit au plus offrant des collectionneurs — dans tous les cas, un sacré pactole. Vous avez pris en charge les détails du contrat et avez sollicité une de vos maisons vassales pour prendre en main la logistique de la livraison, et ma propre maison pour assurer le contre-espionnage.

"Mais seulement ces informations ont fuité, d'une part par les vassaux de Salysium à la Jetée, d'autre part par vos propre vassaux à Jatenna. Gardénia est celle qui a acquis les infos à la Jetée et elle avait rendez-vous avec les espions de Jatenna à la frontière entre l'Expressionnisme et la Foi, près de Fort-Brise.

"Grâce à mes alliés de Miesfant, nous avons pu empêcher cette réunion et les informations ont voyagé de manière séparée jusqu'ici, à Stellaroc. Nous avons pu avoir vent de cela et de l'identité de l'espionne en la personne de Gardénia grâce aux espions que votre femme avait placé ici, à la capitale de l'Alchimie. Nous devons empêcher cette deuxième tentative de réunion de se produire et d'anticiper l'identité du commanditaire de Gardienna, qui va sans aucun doute partir lui remettre son butin dès que la Cour de Printemps sera terminée.

"Nous pensons que les espions que Gardénia doit rejoindre provienne soit de l'Expressionnisme, soit de la Foi, soit — dans une moindre mesure — de la Linguistique. Tous les courtisans interprètes, clercs et diseurs sont donc suspects. Son commanditaire est sans doute Shaman ou Druide, et n'a probablement pas envoyé d'émissaire impliqué dans l'affaire ici. Les courtisans shamans et druides sont donc hors de cause."

Le seigneur Luder, dont l'attention avait été religieuse malgré qu'il connaissait déjà cette affaire sur le bout des doigts, acquiesça.

"Vous vous êtes renseigné sur Gardénia, n'est-ce pas ?" demanda Farel. "Vous avez réussi à trouver sa nationalité d'origine ?"

Luder secoua la tête. "C'est compliqué. Personne ne connaît son nom de naissance, et son métissage ne facilite pas vraiment les choses. Cependant, le consensus est qu'elle se teint les cheveux pour qu'ils soient blancs — et je partage cette opinion. On peut conclure de sa couleur de peau une possible provenance des pays du centre, et de ses yeux des pays du triant."

Le seigneur Fader soupira. "On n'est même pas sûr que ça nous révèlerait son allégeance, de toute façon."

"Mais si on met tout en commun, notre suspect principal est la tradition shamanique," nota Luder.

"Pourquoi mettre autant d'effort dans cette affaire ? Les seigneurs shamaniques sont si indépendants qu'ils n'auraient probablement joints leurs force dans cette entreprise, si ? Engager Galénia et des espions d'autres nations revient à très cher, peut-être même plus que ce qu'ils ont à gagner en vous devançant sur cet achat plutôt que de vous le racheter après coup."

Le seigneur Luder joignit les mains devant sa bouche. "C'est ce qui m'amène à penser qu'ils savent déjà à qui ils appartiennent et que ce n'est pas à eux. Ou bien ils craignent une vente au enchères de notre part et font ça pour court-circuiter les concurrents."

Fader haussa les sourcils. "Ce serait si avantageux que ça ?"

"Le prix d'achat qu'on a fixé est de huit mille cinq cent Roy. Si on arrive à identifier à qui les bijoux appartenaient, on prévoit de les revendre vingt mille Roy en première offre. Si on les met aux enchères, on planifie un prix de départ à onze mille, mais on espère que ça montera à plus de quinze ou seize mille. Dans tous les cas, on compte sur un bénéfice d'environ cent pour cent du montant investi."

"Je vois. Engager une bardesse et un réseau d'espionnage doit coûter au plus cinq mille Flama, soit à peine mille cinq cent Roy. Même s'ils espèrent faire une meilleur offre que vous au seigneur de la Jetée, le bénéfice espéré reste considérable."

"Ce qui m'inquiète le plus avec ces dernières conjectures," conclu le seigneur Luder, "c'est que ça signifierait qu'ils en savent beaucoup plus qu'on ne le pensait sur ces bijoux. Plus que nous même."

Ils se resservirent en silence, contrits et inquiets.

"Vous pensez que le seigneur Salysium essaie de vous doubler pour faire gonfler les prix ? Si on part du principe qu'il vous a fait sciemment parvenir la rumeur sur ces bijoux, puis une fois l'accord signé à sollicité anonymement le seigneur directement concerné, ça lui permettrait d'artificiellement générer une contre-offre bien supérieur au contrat initial, et ce sans se faire inquiéter.

"Et si d'aventure le seigneur concerné ne parvient pas à faire de contre-proposition, il dispose toujours du contrat initial qui reste très alléchant pour lui."

Luder secoua la tête. "Mais s'il a identifié le propriétaire légitime des bijoux, pourquoi ne pas faire directement une offre dispendieuse comme nous projetons de le faire ?"

Le seigneur Fader haussa les épaules, ne sachant que répondre.

"Nous nous perdons en conjectures, mon ami," déclara Luder en finissant son verre d'une traite. "Je vais retourner à ma chambre pour choisir ma tenue et décider quoi faire de cette zinnia."

Sur ce mots, il se leva et quitta la pièce, laissant dans le silence son ami qui était toujours plongé dans ses réflexions.

"Monseigneur ?"

Luder sursauta en entendant la voix du discret Esteven qui s'était écarté de l’entrebâillement dès qu'il avait entendu la porte s'ouvrir.

Il se tourna vers lui, attendant de voir ce qu'il avait à dire.

"Sous la bénédiction de mon maître, sentez-vous libre de me faire parvenir quelque requête que je puis remplir à votre égard, et ce pour toute la durée de la cour."

Le seigneur Luder accepta la proposition d'un signe de tête reconnaissant, puis repris sa route.

Dans les longs couloirs de marbre assombris par la nuit bien avancée, seulement animés par les reflets projeté contre les dalles lisses des flammes des torches suspendues de loin en loin sur les piliers ornés de portraits des ancêtres de la famille Edson, le seigneur Luder se hâtait, les pas étouffés par la texture cotonneuse des tapis de fausse-soie doublés de laine.

Cette ambiance était particulièrement propice aux assassinats de couloirs, et même si une telle ignominie n'était pas raisonnablement envisageable en l'état, Luder fréquentait le seigneur Farel depuis suffisamment longtemps pour avoir appris à être vigilant en toute circonstance.

Il ne sursauta pas quand en passant devant une porte qui devait être entrouverte, surgit de la pièce mitoyenne une valette de la seigneurie des lieux. Celui-ci s'empressa de refermer la porte derrière lui, mais le seigneur Luder put entrapercevoir le visage des trois personne réunies en commité confidentiel à l'intérieur.

Il reconnu immédiatement le seigneur Aras Edson, qui avait passé ses vêtements de coucher, et mit un peu plus de temps à remettre la personne juste à côté de lui, son mari Garbane Edson qu'il avait déjà rencontré à quelque cour.

Ce fut le troisième individu dont la présence surpris le plus le seigneur de Passy. Il s'agissait de Tété-Hémobré, le Juge Suprême qui avait fait une entrée remarquée mais interrompue par l'apparition de Gardénia, le midi-même.

Même s'il n'aura pas forcément reconnu son visage en d'autres circonstance, il avait gardé ses parures de guide combattant, avec son armure noire et son arme démesurée.

Bien entendu, le seigneur Luder ne put entendre le moindre mot de leur conversation, car le coup d’œil avait été extrêmement furtif, et la valette qui montait désormais la garde devant la garde devant la porte fermée le contraignit à ne pas ralentir le pas.

Les cours —en particulier les grandes cours comme celle de Printemps— étaient toujours le siège de nombreux jeux politiques, dont certaine pourraient être qualifiés de complots, mais les membre de l'Égérie —et a fortiori, les Juges Suprême, dont la tâche était celle de médiateurs et de juges à la neutralité absolue— ne s'y mêlaient jamais, au grand jamais. La tâche des guide, les membres de l'Égérie, était de guider les membres des autres traditions, de ce fait son édit principal était l'absence d'ingérence qui mènerait à un conflit au sein des huit autres tradition.

Les guides ont une réputation d'intégrité à toute épreuve, encore plus concernant les Juges Suprêmes qui sont l'équivalent du haut fonctionnariat dans le fonctionnement de cette tradition. Le seigneur Luder était dénué de la moindre conjecture à la raison de ce colloque discret. Sans doute s'agissait-il d'une affaire extérieure à la sienne.

Mais, car prudence est mère de richesse, il se promit de garder ce Tété-Hémobré à l’œil dans les jours qui venaient.

Sait-on jamais.

C'est plongé dans ces réflexions que le seigneur Luder ouvrit la porte de la chambre que le seigneur Edson lui avait attribué la veille.

La pièce était éclairée par deux torche et moult chandelle, et sa femme, la très convoitée seigneure de Passy, était en train de discourir avec une princesse shamane, la troisième enfant du seigneur du Cercle Akva, si la mémoire de Luder était juste.

La seigneure Luder était assise dans un des deux luxueux fauteuils disposés de part et d'autre du grand lit. La princesse était restée debout, n'osant pas se poser sur le matelas attribué au couple Luder et n'ayant pas vraiment d'autre endroit ou s'asseoir près de son interlocutrice.

"Bonsoir, maseigneure mon épouse," déclara Wolas Luder, intérieurement furieux de devoir respecter l'étiquette jusque dans sa chambre à coucher. "Bonsoir à vous, princesse Hilvalbasqué. Je suis Wolas Luder, seigneur consort de Passy."

La princesse shamane lui rendit sa salutation.

"Je n'ai pas encore eu l'honneur de converser avec vous," ajouta Wolas Luder, "mais je ne veux pas interrompre votre discussion. Je vous en prie, continuez."

Sa femme, néanmoins, s'adressa à son mari. "J'ai pris la liberté de préparer votre ensemble de demain. Jetez-y un œil et dites-moi si cela vous convient."

"Merci mille fois ma chère ! Je suis certain que les parures que vous avez sélectionnées seront tout à fait propice à la belle journée qui nous attend demain."

Wolas Luder était fatigué. Ce n'était ni son rôle, ni son loisir de recourir à tous ces ronds-de-jambe.

"J'espère que vous avez pu passer un peu de bon temps avec votre ami ? Cela fait un petit moment que vous vouliez le revoir, me suis-je autorisé à penser."

"Oui, nous avons pu rattraper un peu le temps perdus depuis nos dernières amitiés, et malgré les quelques difficultés auxquelles il fait face en ce moment, nous avons conversé à loisir, jusqu'à ce que la fatigue nous rattrape."

"J'en suis fort aise." Elle lâcha un sourire transpirant de sincérité. Wolas ne savait pas comment sa femme s'y prenait pour falsifier ainsi ses moues, cela l'avait toujours impressionné. C'était une courtisane très douée.

La princesse tenta de raccrocher la discussion qu'elle entretenait avant l'arrivée du seigneur Luder, mais fut interrompue par Dame Luder qui la surpassait en rang.

"Vous connaissez la princesse Hilvalbasqué, fille du seigneur Pegomole du Cercle Akva et seigneur de la côte de Gaelid ? C'est une jeune personne très intéressante, dont je vous conseille la conversation si d'aventure il vous arriverait de vous croiser dans les jours qui viennent."

La princesse shamane eut un sourire gêné. Elle ne pouvait pas contredire Dame Luder tant qu'elle lui faisait des compliments. "Oui, on m'a dit beaucoup de bien de vous, monseigneur Luder. Nous nous sommes déjà croisés à la cour du Cercle Baou, il y a deux ans, mais nous n'avons pu échanger que quelques civilités."

Il était de plus en plus difficile pour Wolas Luder de réfréner son amertume, la fatigue commençait à prendre le pas. Il n'aimait pas du tout être attaqué de la sorte dans sa propre zone de confort.

Mais heureusement, il avait une excellente mémoire pour ce genre de choses.

"Oui, vous accompagniez votre mère, princesse du Cercle Koelin. Une excellente courtisane. Je vous avoue que son mariage avec le dauphin du Cercle Akva n'a étonné personne, dans mon pays. C'était une opportunité bien méritée pour elle."

La princesse fit ce qu'elle peut pour ne pas se décomposer. L'attaque que Luder venait de faire sur son rang et celui de sa mère était à la limite de l'acceptable, mais suffisamment bien enrobée pour qu'il soit impossible de s'en offusquer.

La mère de la princesse Hilvalbasqué était connue pour détester qu'on mentionne ses origines de petite noblesse, et visiblement ce trait avait déteint sur sa fille.

Mais cette dernière était encore trop jeune pour cacher suffisamment bien ses émotion et manquait de la répartie des courtisans de haut vol pour renvoyer une réponse cinglante.

Elle se leva, s'inclina, et tenta un "Je me ferai alors une joie de dire à maseigneure ma mère que vous la respectez ainsi."

Mais c'était de la pacotille, car il suffit à Wolas de répondre "Merci beaucoup ! Il me tarde de converser avec elle notre de notre prochaine rencontre."

Cela acheva la princesse, qui prit congé de manière plutôt maladroite.

"Et bien, vous avez la langue agile ce soir, mon très cher époux", lança avec amusement Dame Luder, une fois qu'ils firent seuls.

"Navré si je vous ai incommodée, mais la fatigue me gagne."

Elle balaya cette excuse du revers de la main. "N'en faites rien, j'aurais tout le loisir de la croiser à nouveau dans les jours qui viennent."

Ils se forçait encore à parler à demi-mots. Le couple Luder n'avait pas à leur disposition de gens qui montait la garde devant leur chambre, et il se devait de prendre des précautions si la princesse Hilvalbasqué avait décidé de laisser traîner ses oreilles sur le palier avant de regagner sa chambre.

Mais Wolas Luder avait immédiatement compris que sa femme désirait plus que tout de voir la discussion avec la jeune princesse écourtée.

"Donc, votre ami se porte bien ?"

"Oui," répondit Wolas, "nous avons un peu parlé des personne avec qui nous désirons converser, dans les jours qui viennent, et nous auront d'autres occasions de nous parler avec amitié."

"Fort bien." Dame Luder était satisfaite. Les plans de son époux suivaient leur chemin, malgré les difficultés qu'il avait subtilement évoquées tantôt.

Wolas se dirigea vers son coffre de voyage, sur lequel l'attendait ses parures du lendemain. Un collant blanc, une minijupe turquoise brodée d'argent, un corset beige, un boléro dégradé de rose et de turquoise surmonté d'une fourrure blanche comme neige et, pour couronner le tout, un très long foulard blanc transparent discrètement brodé du blason de leur famille.

"Vous êtes sûre de vous, mon amie ?" demander Wolas, surpris. "Nous sommes presque au-delà de la provocation, à ce stade, c'en est presque une insulte directe."

Dame Luder se leva et disposa l'ensemble sur le lit, formant une silhouette montrant à quoi ressemblerait l'ensemble une fois porté.

"Oui, il faudra au moins ça, pour compenser le petit effet que vous avez eu auprès de l'assemblée, tout à l'heure."

Comme Wolas affichait une moue interrogative, elle ajouta, "Vous ne l'avez peut-être pas remarqué, mais Gardénia a bien pris soin d'attirer tous les regard à elle avant d'aller vous remettre cette fleur. Cela n'aura échappé à personne."

Après un petit moment de silence, elle ajouta "Elle est très douée."

Wolas contempla la panoplie aux couleurs de la bardesse. "Très bien, je vous fait confiance. Mais concernant la fleur..."

Dame Luder saisit trois autres fleurs leurs qui reposait sur un guéridon. "J'ai pu récupérer celles-là, en toute discrétion. Sentez-vous libre d'en arborer une, si vous pensez que c'est une bonne chose à faire."

"Oui, Farel me l'a conseillé."

Wolas examina les trois fleurs.

"Une bardane azur, pour dire vous m'importunez avec hauteur. C'est direct."

Dame Luder acquiesça.

"Une Héliante, signifiant méfiez vous des apparences. Je l'aime bien, c'est tout de suite plus subtil. Et pas spécialement dirigée contre elle."

Dame Luder ajouta "Vous connaissant, c'est le genre de message que vous aimez bien. Agressif tout en étant ambigu."

Wolas hocha la tête. "Et pour finir une... Achillée noire ?"

Wolas leva des yeux surpris vers sa femme.

"Vous êtes sérieuse ? Vous pensez réellement que la fleur des querelles assassines serait un bon message ?"

Dame Luder haussa les épaules. "Et pourquoi pas ? En tant que bardesse, elle joue un jeu de courtisan en outrepassant le protocole de la noblesse. Une provocation aussi directe et franche ne fera que rentrer dans son jeu.

"Cela fera ainsi office de menace et lui démontrera votre détermination. De toute façon, elle a déjà probablement compris que c'est vous qui tirez les ficelles de l'affaire. La subtilité sert entre autre à semer le doute, mais ça n'a pas lieu d'être ici."

Wolas secoua la tête "Mais une menace aussi directe me discréditera auprès de la cour, sans parler que ça risque de donner une clé de lecture à ceux qui n'ont pas à se mêler de cette affaire."

Il baissa les yeux et resta un instant pensif.

"Et si jamais on échoue, j'ai peur que Farel fasse une bêtise. Si je profère une menace puis que la bardesse se fait... vous-savez-quoi, c'en sera fini de moi."

Il leva les yeux vers sa femme. "Et de nous, plus largement."

Cette dernière leva les mains en signe de défense. "Ce n'était qu'une proposition. Libre à vous de la refuser. La balle est dans votre camp, j'ai confiance en votre jugement."

Le seigneur Luder se frotta le menton. "J'ai peut-être une idée un peu plus subtile, mais pour cela il me faudra une autre achillée. Une achillée blanche."

Dame Luder éclata de rire. "Vous voyez ! Je n'ai fait qu'amener le terreau de votre esprit retors. D'une situation absurde et impossible vous avez toujours les meilleures idées."

Wolas sourit. "Oui. Vous pensez pourvoir me procurer cette fleur ?"

Dame Luder reprit un peu de son sérieux. "Oui, bien sûr. Je demanderai à un serviteur d'en quérir une dès la première heure demain matin."

"Parfait."

"Il vous fallait autre chose ?"

Le rictus du seigneur Luder s'élargit de manière sinistre.

"Oui."


Le matin deuxième jour de la cour était marqué par une performance de toute beauté. Des acrobates faisaient montre d'une agilité exemplaire dans un bal de cascades risquées, au dessus de planche à clous et à travers des murs de flammes. Leur performance était enrobée par quelques mages illusionnistes qui faisaient fleurir la scène d'effets spéciaux avant, après et pendant chaque acrobatie.

Tous les courtisans était réunis dans la cour encore perlée de rosée pour y assister. Les discussion était difficile car il fallait les parsemer d'exclamations impressionnées et d'applaudissement.

Le seigneur Luder avait aperçu son ami le seigneur Farel donner de la voix auprès des plus enjoués des spectateur, sans doute pour se donner un air affable en vue de se mêler aux musicophiles qu'il devrait sonder plus tard.

Lui-même restait un peu à l'écart, une écharpe de laine blanche ayant temporairement remplacé son foulard et son long manteau noir ouvert pour laisser respirer l'achillée blanche qu'il portait à sa boutonnière.

Il avait hâte que la prestation se termine et qu'il puisse retourner dans la halle. La couleur de son manteau n'était pas raccorde avec sa tenue blanche et turquoise. Il n'avait pas envie qu'on l'insulte sur cette faute de goût.

Au grand dam du seigneur de Passy, ce fut Tété-Hémobré, le Juge Suprême, qui fut le seul de la mâtiné à l'approcher.

"Bonjour, Seigneur Luder."

Il se rendit compte que c'était la première fois qu'il entendait sa voix. Elle était très profonde et rocailleuse. Son timbre et ses sourcils éternellement froncés donnait l'impression qu'il jugeait son interlocuteur à chaque instant.

"Bonjour, messire Juge Suprême."

Celui-ci changea de pied d'appui et croisa les bras, comme s'il venait de le contrarier.

Était-ce le titre de messire qui le remettait à ses origines de roturier, au milieu de tous ces nobles, qui lui déplaisait ?

"Quelle étrange symbole vous arborez aujourd'hui."

Le Juge Suprême décroisa un bras pour passer sa main gantée de métal sur la fleur.

"Oui, mais ne vous inquiétez pas," répondit le seigneur Luder en tentant un sourire, "le message qu'il porte ne vous est pas destiné."

"J'espère bien," rétorqua le Juge d'un ton sec. "Amour malgré tout, c'est bien ça ? Si ce message était pour moi, je ne sais s'il faudrait que je m'inquiète plus de l'amour ou du malgré tout."

Le seigneur Luder contint sa nervosité.

"Il n'est pas non plus destiné à quelque amant. Le terme amour a bien des significations."

Les doigts du Juge Suprême continuèrent de caresser les pétales jusqu'à s'arrêter sur un en particulier. Il était noir.

"A-t-elle déjà commencé à faner ?"

Luder commençait à perdre son sang froid. Le Juge avait très bien compris qu'elle était peinte. Mais Luder ne pouvait laisser le Juge insinuer qu'il avait fait une faute en ne choisissant pas une fleur parfaitement fraîche.

"Disons plutôt que c'est un spécimen unique."

La parade était piètre, ce qui embêtait Luder. Les Juges Suprêmes ne sont pas des courtisans, mais ce sont des guides aguerris qui fréquentent toutes sortes de gens — y compris la noblesse — et qui témoigne d'une expérience avancée avant de pouvoir acquérir leur titre.

C'est pour ça qu'il ne fut pas surpris quand il posa une question d'autant plus gênante : "Comment s'appelle-t-il ? Ce spécimen ?"

Luder savait improviser d'ordinaire. Mais il fallait toujours redoubler de vigilance en présence de ces hommes. Chaque parole pourrait être retenue contre vous, et il avait du pouvoir.

"On l'appelle l'achillée du crépuscule."

Le Juge Suprême lâcha enfin la fleur. "Intéressant."

Puis il s'en alla sans autre forme de courtoisie.

C'est quoi son problème à lui ? Il m'a dans son collimateur ou quoi ?

Il était probablement en train d'enquêter. Il cherchait quelqu'un.

Mais pourquoi ? La famille Luder n'avait commis aucun délit, de ce qu'il en savait, donc la présence de Tété-Hémobré devait être liée à une autre affaire.

En tout cas, le seigneur Luder tenta de s'en convaincre.

Quand midi fut sonné et que les convives purent regagner la grande halle, il ne furent pas accueillis par l'odeur poussiéreuse de la pierre millénaire du palais de Stellaroc, mais part les fragrance enivrante d'un fastueux banquet servi à leur attention.

Les époux Luder passèrent le repas côte-à-côte. La princesse shamane avait été invitée par Dame Luder à s'installer à côté d'elle, pour s'excuser de la fin un peu subite de leur entretien de la veille au soir. Ce fut Garbane Edson, le seigneur consort de Stellaroc, qui s'imposa à la compagnie de Luder. Une chose à laquelle il était impossible à Luder de s'opposer.

Cependant le repas fut calme. Après questionnement, Garbane Edson expliqua à Luder que s'il n'avait pas été présent à la cour jusque là, c'est parce qu'il préparait un voyage, et qu'il partirait le lendemain matin. Sa présence pour le banquet était ponctuelle et uniquement pour profiter un peu de la compagnie d'autres grands seigneurs, car préparer un voyage est une chose fastidieuse et en l'occurrence solitaire.

Ils échangèrent après cela presque uniquement des banalités. La seule question qui déstabilisa le seigneur Luder fut quand le seigneur Garbane Edson l'interrogea sur le seigneur Farel.

"Savez-vous où est votre compatriote ? J'avais fort apprécié sa compagnie l'année dernière et j'aurais voulu échanger avec lui au moment du café, avant de retourner à mes préparatifs."

Luder en fut surpris. Il n'avait pas prévu de déjeuner avec lui — ils avaient conclu de limiter leurs interactions à la cour pour ne pas lever de soupçon — mais en balayant l'assemblée du regard, il ne le trouva pas.

"Je n'ai pas l'impression qu'il déjeune avec nous. Vous voulez que je lui transmette un message ?"

Quand le regard de Luder revint sur le seigneur Garbane Edson, les yeux de celui-ci était durs. Comme s'il tentait de plonger à l'intérieur.

Luder resta coi un moment. "Tout va bien."

Puis le visage du seigneur consort de Stellaroc se dérida en un sourire radieux. "Ne vous inquiétez pas, si j'ai besoin de lui transmettre un message je passerai par mon époux. Je désirais juste échanger quelque plaisances avec lui."

Quand le repas se termina et que les convives se levèrent pour conserver autour de café et de thé, le seigneur Luder ne pouvait s'empêcher de repenser à ce court échange.

Y avait-il un lien entre l'affaire du contrat, la la bardesse, le Juge Suprême et le seigneur Edson-mari ?

Des nœuds commencèrent à se former dans l'esprit du comploteur Luder, qui n'avait pas l'habitude que ses intrigues se complexifient aussi vite.

Il aurait bien aimé se reposer pour l'après-midi, mais il fallait qu'il croise Gardénia pour s'assurer qu'elle voit bien son achillée du crépuscule.

Ses vœux furent néanmoins exhaussés car l'activité de l'après-midi était une pièce de théâtre musical, dont l'orchestre était dirigé par la bardesse elle-même. Le seigneur Luder en profita pour prendre congé et faire une promenade digestive dans les jardins du palais.

Quelques courtisans qui comme lui pour qui il n'était pas attendus qu'ils assistent à toutes les activités flânait en discutant, ainsi que bon nombre de représentant de petite noblesse, dont les maisons étaient trop mineures pour qu'un tel impair n'entache leur réputation.

Le seigneur Luder s’asseya sur un banc blanc agréablement disposé sous les branches noueuses d'un érable tohavais. Un fine couche de pétales roses tapissait ses alentours, à l'ombre du soleil cuisant de ce début de printemps.

L'odeur de végétation mouillée du matin avait été remplacée par l'empyreume enivrant du milieu d'après-midi. Les oiseaux déployait tout leur ramage à l'affût de partenaires. On pouvait occasionnellement apercevoir un écureuil ou un lapin se risquer à travers le parc presque désert en quête de quelque nourriture. On entendait de temps en temps l'écho d'éclats de rire ou le son d'une vielle émanant de quelque promeneurs lointains.

Après une longue introspection contemplative, le seigneur Luder remarqua une silhouette familière émerger d'une porte de service non loin.

Il se leva et s'avança d'un pas pressé pour la rejoindre.

"Esteven ! Puis-je vous déranger un instant ?"

Le valet de Fader fut un peu étonné d'être surpris ainsi par le seigneur Luder loin des festivités, mais il reprit rapidement sa contenance.

"Vous ne me dérangez jamais, monseigneur."

"Vous m'aviez bien dit que vous pourriez me rendre service, n'est pas ?"

"Tout à fait, monseigneur."

"Alors puis-je vous prier de me rendre un précieux service et me dire où se trouve le seigneur Farel ?"

Le valet prit un air embarrassé. "Malheureusement, je vais devoir me soustraire à cette requête en particulier."

Le seigneur Luder se renfrogna, prenant l’œil supérieur du noble s'adressant au bas-peuple.

"C'est ma faute," reprit le valet, "j'aurais dû être plus clair sur le fait que c'est sur les services pratiques et logistiques que mon maître le seigneur Farel vous a confié mon assistance. Malheureusement, sur les ordres de celui-ci, je ne puis vous confier où sont ses affaires en ce moment. Vous m'en voyez réellement navré. Je suis sûr que vous comprenez."

Le seigneur Luder, bien que contrarié, était un peu rassuré. Au moins son valet savait-il où le seigneur Farel était.

"Dans ce cas, Esteven, dès que vous le reverrez, transmettez-lui en tout discrétion que le seigneur consort Garane Edson a cherché à le voir, ce midi. Il saura probablement quoi faire de cette information."

"Certainement, monseigneur. Autre chose ?"

"Pas pour le moment."

Le valet s'inclina et s'en alla prestement.

Comme cela faisait un certain temps maintenant que le seigneur Luder était aux jardins, il décida de rentrer.

Quand il arriva aux abords du parvis du palais, il fut surpris d'être accosté par la bardesse Gardénia, qui lui accorda une salutation en affichant un sourire que Luder hésitait à qualifier de carnassier.

"Oh ! Dame Gardénia ! La représentation est-elle déjà finie ?"

"De toute évidence, mon cher. J'ai été attristée de ne pas vous voir parmi les spectateurs. J'avais cru comprendre que vous étiez féru d'arts musicaux ?"

"Certes, mais je avoue avoue en toute confidence que le théâtre est un art dont l'appréciation m'est interdite, à mon grand désarroi. Soyez certaine que s'il m'avait été possible d'apprécier votre musique à l'aveugle durant la représentation, sans avoir à être témoin du jeu lui-même, je n'y aurait coupé."

"J'en suis honorée, seigneur Luder. Daignerez-vous m'accorder une petite promenade reposante dans les jardins que vous étiez sur le point de quitter ? J'avais grande hâte de pouvoir converser avec moi."

Luder se concerta avec lui-même un court instant, se demandant s'il n'avait pas mieux à faire, mais il jugea que ce serait une bonne opportunité d'en apprendre plus sur elle et ses intentions.

"Avec joie ! Je ne sais pas si vous avez déjà eu l'occasion de les parcourir, mais la saison est parfaite pour passer un moment agréable."

La bardesse rit avec douceur.

"Si ce n'était pas le cas, cette cour ne mériterait pas de s'appeler la Cour de Printemps."

Il marchèrent sur les graviers blancs qui recouvrait les étroite allée sinueuse du jardin. Gardénia n'avait pas son instrument avec elle, mais elle s'autorisa à fredonner une pavane, qui bien que datée, était interprétée sur une gamme moderne avec de fort agréables variations.

"Je suis curieux," demanda le Luder après le premier couplet, "ce qui attire votre intérêt à moi. Sans doute n'est-ce pas uniquement ma notoire musicophilie, si ?"

Gardénia un regard contemplatif vers le ciel bleu moucheté de petite taches blanches.

"Oh ! Il y a plus que cela. Je vous avoue que je porte une grande curiosité à l'attention des arcanistes qui apprécie la musique. Ils sont bien différents des autres musicophiles, et toute conversation que j'entretiens avec eux m'élève en tant que bardesse."

"Tiens donc ? Je peine à en discerner la raison. Daignerez-vous m'éclairer ?"

Gardénia pirouetta vers lui en écartant les bras de manière théâtrale, ce qui fit virvolter les manches larges et tombantes de son habit léger. Elle s'était vêtue plus chaudement que la veille, avec une jupe traînante et un veston-trench ouvert et brodé, et s'était coiffée d'un fin béret, le tout toujours à ses couleurs blanche et turquoise surmontées par le rose de son physiom à forme de ruban.

"La science, pardis ! Les alchimiste et le arcanistes — surtout ces derniers il faut bien dire — ont une approche très théorique de la musique, à tel point que l'on peut parler des heures durant d'une unique pièce sans que mon attention se délite, et leurs compositeurs usent souvent de gammes et de formations atypique ! Un vrai plaisir !"

Elle repris sa marche.

"Et parmi tous les "convives présent, qui d'autre que vous avec qui avoir ce genre de conversation ?

"Sans parler que d'être vue en votre compagnie me met en joie, étant donné la fraîcheur de votre style."

Elle parcouru la tenue de Luder de l’œil avec un sourire taquin, appréciant visiblement ces couleurs. Sourire qui s'élargit quand son regard se posa sur l'achillée du crépuscule. Mais elle ne releva pas.

"Sans compter que vous êtes beaucoup plus accessible que votre épouse, et que le seule de vos compatriotes à être présent, le seigneur Farel — le connaissez-vous bien ? — a brillé par son absence depuis le repas."

"Et quid des autres traditions ? Leurs conversations musicales sont-elles moindrement agréable ?"

Elle prit un air pensif.

"Toute proportion gardée, oui, c'est le cas. Les interprètes — c'est la première nation à venir en tête, quand il est question d'art — sont très imbus de leur propre culture, et ils ont une certaine tendance — vous m'excuserez de ma grossièreté — à l'onanisme. Cela a vite fait de m'ennuyer."

Luder ne releva pas ladite grossièreté, mais il n'en pensa pas moins. En présence de témoins, il aurait faussement pris un air outré, mais les plus proches courtisans n'étaient pas à portée de voix.

"Les clercs ont des chants et des formations très codifiés. Trop, même. C'est dommage. Quant aux diseurs, ils ont un rapport très pécuniaire avec l'art.

"Les shamans ne sont pas bon public et c'est toujours angoissant de se dire qu'une parole de travers peut vous faire arrêter, en fonction de la ville que vous visitez.

"Les druides, par contre, sont toujours un très bon public. Mon préféré, s'il en est. Mais ils n'ont pas une grande culture musicale. Il n'y a vraiment qu'avec les arcanistes et, dans une plus petite mesure, les alchimistes, avec qui j'aime vraiment passer du temps."

Elle s'arrêta pour réfléchir. "En vous disant cela, je me rend compte que j'ai peu d'opinion sur la tradition Perfectionniste. Je devrais y donner quelques concerts, à l'occasion."

"Et le guides ?", demande Luder.

"Les guides ? C'est amusant, je ne me suis jamais posé la question. Je suppose que c'est parce qu'il n'ont pas de culture propre et suivent généralement celle du pays dans lequel ils vivent. Je n'ai jamais eu de public composé majoritairement de guide. Cela n'a d'ailleurs pas beaucoup de sens, on n'en trouve que très peu dans chaque communauté."

Ils conversèrent ainsi de musique jusqu'à la fin de l'après-midi. La causerie était si agréable que Luder se surpris à tempérer son opinion au sujet de la bardesse, se disant que peut-être elle était moins retorse qu'elle avait paru la veille. Mais il se ressaisit et se dit que c'était probablement le but de la conversation qu'elle lui donnait présentement. Il n'oubliait pas la zinnia.

[hommage à Edson-père]


[conversation avec Farel]


[fuite de Gardénia au petit matin, tentative d'assassinat et arrestation de Farel]


[cour du cercle Akva]


[entretien avec la seigneure de la Linguistique]