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"Jour de pluie"
"Jour de pluie"


Le chef de Barbara hocha la tête une seule fois face à la réponse routinière à sa sempiternelle question "Comment ça va ?".
Le chef de Barbara hocha la tête une seule fois face à la réponse routinière à sa sempiternelle question : ''<nowiki/>'Comment ça va ?'''.


Barbara n'avait même pas fait attention à lui. Il était à peine sept heure du matin, et comme d'habitude, seuls le chef Brunet et elle était présents.  
Barbara n'avait même pas fait attention à lui. Il était à peine sept heure du matin, et comme d'habitude, seuls le chef Brunet et elle était présents. Elle avait répondu de manière mécanique, sans le regarder


C'est quand elle remarqua qu'il s'attardait qu'elle se tourna vers lui. "Qu'est-ce que tu m'veut, Michaël ?"
C'est quand elle remarqua qu'il s'attardait qu'elle se tourna vers lui. "Qu'est-ce que tu m'veux, Michaël ?"


Le chef Brunet contempla un instant Barbara. Elle était profondément assise dans son siège de bureau, jambes croisée, avec une canette de café dans une main et un cigarillo dans l'autre. Ses sourcils épais était aussi froncés que ses cernes étaient prononcés. Le chef Brunet savait qu'il faisait partie des rare personnes à pouvoir déranger Barbara Coupeur avant qu'elle ait fini son café et y survivre.
Le chef Brunet contempla un instant Barbara. Elle était profondément assise dans son siège de bureau, jambes croisée, avec une canette de café dans une main et un cigarillo dans l'autre. Ses sourcils épais était aussi froncés que ses cernes étaient prononcés. Le chef Brunet savait qu'il faisait partie des rares personnes à pouvoir déranger Barbara Mollast avant qu'elle ait fini son café matinal et vivre assez longtemps pour en parler.


Ce privilège était mérité, car Barbara était la seule personne du bâtiment pouvant se permettre d'être aussi familière avec le chef Brunet.
Ce respectueux privilège était mutuel, car Barbara était la seule personne du bâtiment pouvant se permettre d'être aussi familière avec le chef Brunet.


J'ai une nouvelle à t'annoncer, et je voudrais le faire avant que tes collègues n'arrivent.  
"J'ai une nouvelle à t'annoncer, et je voulais le faire avant que tes collègues n'arrivent."


Barbara eut un rictus. Le chef Brunet ne savait pas si c'était parce qu'il avait utilisé le mot "collègue" —qui, selon Barbara, est très discutable— ou si parce qu'elle anticipait déjà que c'est le genre de nouvelle qui allait gâcher sa journée.
Barbara eut un rictus. Le chef Brunet ne savait pas si c'était parce qu'il avait utilisé le mot "collègue" —qui, selon Barbara, était très discutable— ou si parce qu'elle anticipait déjà que c'était le genre de nouvelle qui allait gâcher sa journée. Elle tira une bouffée sur son cigarillo, silencieuse. L'open-space encore plongé dans l'ombre, éclairé seulement par l'écran de l'ordinateur de Barbara et par le bout de son cigarillo résonnait de la clameur du calme avant la tempête.


Le chef Brunet, qui se tenait dans l'entrée du cubicule, se décala et Barabara pu alors remarquer que quelqu'un se trouvait juste derrière lui. Elle le dévisagea un instant, puis renvoya à son chef une moue interrogatrice.
"Agent Barbara Mollast, je vous présente votre nouveau partenaire, l'agent Étienne Cellier."
Le petit nouveau fit un geste de salutation maladroit, qui se heurta à la posture de pierre de sa nouvelle partenaire.
Les muscles du chef Brunet se tendirent. Il venait de jeter une allumette dans la poudrière. Pourquoi était-il venu faire cette annonce au moment de la journée ou Barbara était la plus irritable ? Au fond, c'était un test pour la jeune recrue. S'il survivait à la Colère Matinale de Mollast, il survivrait à tout ce que le métier pourrait lui infliger par la suite.
Il vit les yeux de sa subordonnée se plisser, ses lèvres se serrer, comme si elle allait à tout moment cracher un flot d'acide au visage d'Étienne Cellier, ou comme si elle était prête à se déployer de tout son long pour se jeter à sa gorge.
Un ange passa, puis deux. Un amas de cendre tomba sur la moquette moite, dans l'indifférence générale. L'électricité dans l'air fit se dresser les poils sur les avant-bras du chef Brunet. Il attendit l'impact...
----"Okay."
----"Okay."


Michaël resta coi devant cette réponse si brève et cette intonation du ''<nowiki/>'Okay''' si caractéristique de Barbara, en rendant gutturale la dernière syllabe.
Michaël resta coi devant cette réponse si brève et l'intonation si caractéristique du ''okay d''e Barbara, dont la dernière syllabe était exagérément gutturale.


"Quoi ? Tu t'attendais à ce que je te joue le trope de l'agent qui ''<nowiki/>'préfère travailler en solo''' ? C'est mal me connaître."
Après un instant de silence, elle haussa les épaules. "Quoi ? Tu t'attendais à ce que je te joue le cliché de l'agente qui ''<nowiki/>'réfère travailler en solo''' ? C'est mal me connaître."


Barbara se tourna vers la bleusaille. "Par contre, mettons-nous d'accord tout de suite, mais tu vas faire tout ce que je te dis, okay ?"
Barbara se tourna vers la bleusaille. "Par contre, mettons-nous d'accord tout de suite, tu vas faire tout ce que je te dis, ''okay'' ?"


Le ton était sans équivoque : ce n'était pas un choix qu'elle lui laissait.
Le ton était sans équivoque : ce n'était pas un choix qu'elle lui laissait.


Michaël se détendit de tous les muscles de son corps. Ce ''okay'' signifiait que Barabara était détendue. Elle l'utilisait sans s'en rendre compte, un genre de tic de langage.
Michaël donna une tape sur l'épaule de Cellier, comme pour dire ''Félicitations, tu es encore en vie !'', puis quitta l'open-space.
"Bon," dit Barbara en tirant la dernière latte de sa clope, "tu va commencer par te servir un bon café, puis tu va passer au vestiaire t'équiper. On est de patrouille aujourd'hui."
Elle pressa sa cannette au-dessus de sa bouche comme si ça lui permettrait d'en extraire un dernier filet de café, puis la balança dans la direction générale de la poubelle en quittant son cubicule. Cellier la suivit sans trop savoir où elle se rendait, mais il constata rapidement que, par chance, elle aller en salle de pause se prendre un autre café.
"Tous les kawas sont dégueus ici, mais ils sont pas cher. Prends la canette qui se semble la plus jolie pour le moment, et dans quelques jours, quand t'auras tout testé, tu pourra décider quelle marque tu détestes le moins."
Elle introduit une pièce de cinquante centimes dans le distributeur puis tapa le code qu'elle connaissait par cœur. Une canette marron avec un gros "CC" blanc dessus tomba avec force sur la moquette — le panneau en bas de la machine était cassé.
"CC" signifiait "Crise Cardiaque", c'était le café le plus fort à disposition, il contenait un taux de caféine qui était, Barbara en était sûre, jugé comme impropre à la conservation par l'OMS. Elle sourit quand elle vit que son nouveau partenaire, ne sachant trop quoi choisir, en prit un de la même parque.
''Il va avoir une mauvaise surprise. Préparez les chiottes !''
Ils tirèrent tous les deux sur la goupille située à la base de la canette, et attendirent quelques instant que le liquide chauffe à l'intérieur avant de l'ouvrir et la boire.
----"Il y a un truc que je ne comprends pas", avoua l'agent Cellier à sa partenaire tout ne enfilant son blouson de cuir noir, dans les vestiaire. "Pourquoi des agents de la DGSI partent en patrouille ? On va patrouiller quoi ? C'est pas le rôle de la police ?"
L'agent Mollast, déjà parée de son long imper brun, lui lança un regard de ''Tu sors d'où, toi ?'' , mais se contenta de demander "Tu viens d'où ? T'étais pas affecté à Paris avant, si ?"
Cellier secoua la tête. "Non, j'étais à la Police Nationale, à Nantes, avant. Je viens d'arriver à Paris. Ça faisait trois ans que je demandais une affectation ici, mais allez savoir pourquoi, ils n'ont jamais donné suite. Jusqu'à ce qu'un détaché de la DGSI vienne débaucher des gens pour en faire des agents."
Ils coiffèrent leur chapeau. Cellier portait un borsalino italien, Barbara un large akubra d'Australie — le premier était un vrai, le second une imitation.
"J'ai pas trop compris pourquoi ils s'adressaient à la PN pour recruter, mais ils sont venus me voir directement et quand j'ai expliqué mes motivations, ils ont rédigé un ordre de transfert. Je savais même pas que c'était possible."
Barbara buta sur ses mots un instant. "Attends, tu as ''choisi'' de venir ici ? Mais qu'est-ce qu'il t'as pris."
Cellier haussa les épaules comme si la réponse était évidente. "J'ai appris la situation à Paris, comme tout le monde, et je me suis dit que ce serait une bonne idée de renforcer les rangs de la police sur place, pour mieux contenir les émeute et la recrudescence des groupements criminels. Mais je vous avoue que depuis mon transfert, je suis un peu perdu."
Barbara prit la direction de la sortie en le rassurant. "T'inquiètes, je vais t'expliquer en chemin."
Quand ils mirent les pieds dehors, l'éternel crachin parisien se déversa sur les couvre-chefs des deux agents. ''Jour de pluie''. Une expression qui signifiait ça : à l'image de la pluie fine qui tombait sur Paris en permanence depuis les évènements, on endure le quotidien. On ne se porte pas au mieux, mais le "mieux" était un idéal lointain. On fait avec les emmerdes qui empoisonnent l'existence de tous les parisiens depuis trois ans. Rien de grave, ce qui est souvent une chance, mais on ne va pas "bien". On supporte le quotidien. Comme on supporte la pluie.
Barbara lança les clés de la voiture de patrouille à Cellier tout en se dirigeant su côté passager. "C'est toi qui conduit, aujourd'hui."
Ils prirent tous les deux place à bord de la Volkswagen gris métallisé, dont les sièges usés sentaient le renfermé.
Cellier mit le contact et demanda : "On patrouille dans quel secteur ?"
Barbara tapa rapidement sur son smartphone, puis le positionna sur le support prévu à cet effet. Elle pointa les indications du GPS qui était affiché à l'écran. "Tu te rends là."
Bien que circonspect, le bleu resta silencieux et passa la première.
Les bâtiments haussmanniens à la façade salie par la pluie impropre défilaient. Barbara avait  entrouvert la fenêtre pour laisser s'échapper la fumée du cigarillo qu'elle s'était allumé.
"Bon, je vais te faire un petit topo, mais garde en tête que la réalité est bien plus complexe que ça.
"Tu sais sûrement que depuis les élections de 2037, c'est plus ou moins la merde ici. La Police Nationale parisienne a été réformée pour mieux endiguer les émeutes, les vols et les gangs. On l'appelle maintenant PRP, ''Police de la Région Parisienne''. En gros, c'est devenu la milice privée des saloperies de costumes qui gèrent le pays. Ils n'ont fait qu'empirer les choses, au final, et pratiquent l'extorsion, l'assassinat et les perquisitions arbitraire."
Cellier haussa ses fins sourcils. "Vous n'avez pas votre langue dans votre poche. À Nantes, si on osait médire du gouvernement, on se prenait automatiquement un blâme. Vous n'avez pas peur des représailles de vos supérieurs ?"
Barbara ricana. "Nan, bien au contraire. Nous à la DGSI on dépend théoriquement du ministère de l'Intérieur, c'est vrai, mais dans les faits les grand pontes de l'organisation ont fait pression pour garder leur indépendance.
"Du coup, c'est nous qui jouons le rôle de police, à Paris. C'est pour ça qu'on patrouille et tout le bordel."
"Et qui s'occupe de la sécurité intérieure au pays ?"
"La DGSE. Ça a l'air con comme ça, mais considère que la Région Parisienne est un pays différent de la France. Rien ici ne fonctionne plus comme dans le reste de l'hexagone."
"Je vois. Et la PM ? Et la PS ?"
"La Police Municipale n'a administrativement pas bougé. Dans les faits ils aident les citoyens comme ils peuvent, avec le peu de moyens qu'ils ont.
"Quant à la Police Scientifique, j'en sais foutrement rien. On ne les a pas vu se pointer depuis la réforme."
Cellier se tut un moment, assimilant ces informations et se concentrant sur la route.
Barbara repris "L'armée et la gendarmerie ont été plus ou moins intégrés à la PRP, ce qui les rend putain de puissants. Mais c'est une aide surtout matérielle."
Cellier secoua la tête. "C'est diablement compliqué."
Barbara explosa de rire. "Attends un peu que je te parle des organisations civiles, des ONG et des organisations de l'ombre ! T'en a pas fini !"
Elle cracha une bouffée de fumée. "Mais on en parlera plus tard. Assimile déjà tout ça, et ce sera déjà pas mal pour un premier jour."
"Donc, si je résume," conclu Cellier, "La Police Nationale et l'armée sont devenus une milice privée, la Police Municipale une sorte de vigilance citoyenne, et la DGSI joue le rôle des polices, c'est bien ça ?"
Barbara hocha la tête. "On est bientôt arrivés."






C'était marrant, parce que quand elle parlait de Michaël, chef de section à la DGSI, à des gens qui ne le connaissait pas, ils s'imaginaient toujours un blanc. Un des plaisir secret —mais certainement pas coupable— de Barbara était d'observer les congestions de leurs visages quand ils se rendaient compte que c'était un noir, comme si "Brunet" ne pouvait pas être le nom d'une personne dont la famille est française depuis plus de cinq générations.
C'était marrant, parce que quand elle parlait de Michaël Brunet, chef de section à la DGSI, à des gens qui ne le connaissait pas, ils s'imaginaient toujours un blanc. Un des plaisir secret —mais certainement pas coupable— de Barbara était d'observer les congestions de leurs visages quand ils se rendaient compte qu'il était noir, comme si "Brunet" ne pouvait pas être le nom d'une personne dont la famille était française depuis "seulement" cinq générations.

Version actuelle datée du 3 janvier 2024 à 20:29

1.01
RecueilÀ Fleur de Flingues
Arc1 - Patrouille
TypeChapitre
ÉtatBrouillon
Sous-pages

1.01

"Jour de pluie"

Le chef de Barbara hocha la tête une seule fois face à la réponse routinière à sa sempiternelle question : 'Comment ça va ?'.

Barbara n'avait même pas fait attention à lui. Il était à peine sept heure du matin, et comme d'habitude, seuls le chef Brunet et elle était présents. Elle avait répondu de manière mécanique, sans le regarder

C'est quand elle remarqua qu'il s'attardait qu'elle se tourna vers lui. "Qu'est-ce que tu m'veux, Michaël ?"

Le chef Brunet contempla un instant Barbara. Elle était profondément assise dans son siège de bureau, jambes croisée, avec une canette de café dans une main et un cigarillo dans l'autre. Ses sourcils épais était aussi froncés que ses cernes étaient prononcés. Le chef Brunet savait qu'il faisait partie des rares personnes à pouvoir déranger Barbara Mollast avant qu'elle ait fini son café matinal et vivre assez longtemps pour en parler.

Ce respectueux privilège était mutuel, car Barbara était la seule personne du bâtiment pouvant se permettre d'être aussi familière avec le chef Brunet.

"J'ai une nouvelle à t'annoncer, et je voulais le faire avant que tes collègues n'arrivent."

Barbara eut un rictus. Le chef Brunet ne savait pas si c'était parce qu'il avait utilisé le mot "collègue" —qui, selon Barbara, était très discutable— ou si parce qu'elle anticipait déjà que c'était le genre de nouvelle qui allait gâcher sa journée. Elle tira une bouffée sur son cigarillo, silencieuse. L'open-space encore plongé dans l'ombre, éclairé seulement par l'écran de l'ordinateur de Barbara et par le bout de son cigarillo résonnait de la clameur du calme avant la tempête.

Le chef Brunet, qui se tenait dans l'entrée du cubicule, se décala et Barabara pu alors remarquer que quelqu'un se trouvait juste derrière lui. Elle le dévisagea un instant, puis renvoya à son chef une moue interrogatrice.

"Agent Barbara Mollast, je vous présente votre nouveau partenaire, l'agent Étienne Cellier."

Le petit nouveau fit un geste de salutation maladroit, qui se heurta à la posture de pierre de sa nouvelle partenaire.

Les muscles du chef Brunet se tendirent. Il venait de jeter une allumette dans la poudrière. Pourquoi était-il venu faire cette annonce au moment de la journée ou Barbara était la plus irritable ? Au fond, c'était un test pour la jeune recrue. S'il survivait à la Colère Matinale de Mollast, il survivrait à tout ce que le métier pourrait lui infliger par la suite.

Il vit les yeux de sa subordonnée se plisser, ses lèvres se serrer, comme si elle allait à tout moment cracher un flot d'acide au visage d'Étienne Cellier, ou comme si elle était prête à se déployer de tout son long pour se jeter à sa gorge.

Un ange passa, puis deux. Un amas de cendre tomba sur la moquette moite, dans l'indifférence générale. L'électricité dans l'air fit se dresser les poils sur les avant-bras du chef Brunet. Il attendit l'impact...


"Okay."

Michaël resta coi devant cette réponse si brève et l'intonation si caractéristique du okay de Barbara, dont la dernière syllabe était exagérément gutturale.

Après un instant de silence, elle haussa les épaules. "Quoi ? Tu t'attendais à ce que je te joue le cliché de l'agente qui 'réfère travailler en solo' ? C'est mal me connaître."

Barbara se tourna vers la bleusaille. "Par contre, mettons-nous d'accord tout de suite, tu vas faire tout ce que je te dis, okay ?"

Le ton était sans équivoque : ce n'était pas un choix qu'elle lui laissait.

Michaël se détendit de tous les muscles de son corps. Ce okay signifiait que Barabara était détendue. Elle l'utilisait sans s'en rendre compte, un genre de tic de langage.

Michaël donna une tape sur l'épaule de Cellier, comme pour dire Félicitations, tu es encore en vie !, puis quitta l'open-space.

"Bon," dit Barbara en tirant la dernière latte de sa clope, "tu va commencer par te servir un bon café, puis tu va passer au vestiaire t'équiper. On est de patrouille aujourd'hui."

Elle pressa sa cannette au-dessus de sa bouche comme si ça lui permettrait d'en extraire un dernier filet de café, puis la balança dans la direction générale de la poubelle en quittant son cubicule. Cellier la suivit sans trop savoir où elle se rendait, mais il constata rapidement que, par chance, elle aller en salle de pause se prendre un autre café.

"Tous les kawas sont dégueus ici, mais ils sont pas cher. Prends la canette qui se semble la plus jolie pour le moment, et dans quelques jours, quand t'auras tout testé, tu pourra décider quelle marque tu détestes le moins."

Elle introduit une pièce de cinquante centimes dans le distributeur puis tapa le code qu'elle connaissait par cœur. Une canette marron avec un gros "CC" blanc dessus tomba avec force sur la moquette — le panneau en bas de la machine était cassé.

"CC" signifiait "Crise Cardiaque", c'était le café le plus fort à disposition, il contenait un taux de caféine qui était, Barbara en était sûre, jugé comme impropre à la conservation par l'OMS. Elle sourit quand elle vit que son nouveau partenaire, ne sachant trop quoi choisir, en prit un de la même parque.

Il va avoir une mauvaise surprise. Préparez les chiottes !

Ils tirèrent tous les deux sur la goupille située à la base de la canette, et attendirent quelques instant que le liquide chauffe à l'intérieur avant de l'ouvrir et la boire.


"Il y a un truc que je ne comprends pas", avoua l'agent Cellier à sa partenaire tout ne enfilant son blouson de cuir noir, dans les vestiaire. "Pourquoi des agents de la DGSI partent en patrouille ? On va patrouiller quoi ? C'est pas le rôle de la police ?"

L'agent Mollast, déjà parée de son long imper brun, lui lança un regard de Tu sors d'où, toi ? , mais se contenta de demander "Tu viens d'où ? T'étais pas affecté à Paris avant, si ?"

Cellier secoua la tête. "Non, j'étais à la Police Nationale, à Nantes, avant. Je viens d'arriver à Paris. Ça faisait trois ans que je demandais une affectation ici, mais allez savoir pourquoi, ils n'ont jamais donné suite. Jusqu'à ce qu'un détaché de la DGSI vienne débaucher des gens pour en faire des agents."

Ils coiffèrent leur chapeau. Cellier portait un borsalino italien, Barbara un large akubra d'Australie — le premier était un vrai, le second une imitation.

"J'ai pas trop compris pourquoi ils s'adressaient à la PN pour recruter, mais ils sont venus me voir directement et quand j'ai expliqué mes motivations, ils ont rédigé un ordre de transfert. Je savais même pas que c'était possible."

Barbara buta sur ses mots un instant. "Attends, tu as choisi de venir ici ? Mais qu'est-ce qu'il t'as pris."

Cellier haussa les épaules comme si la réponse était évidente. "J'ai appris la situation à Paris, comme tout le monde, et je me suis dit que ce serait une bonne idée de renforcer les rangs de la police sur place, pour mieux contenir les émeute et la recrudescence des groupements criminels. Mais je vous avoue que depuis mon transfert, je suis un peu perdu."

Barbara prit la direction de la sortie en le rassurant. "T'inquiètes, je vais t'expliquer en chemin."

Quand ils mirent les pieds dehors, l'éternel crachin parisien se déversa sur les couvre-chefs des deux agents. Jour de pluie. Une expression qui signifiait ça : à l'image de la pluie fine qui tombait sur Paris en permanence depuis les évènements, on endure le quotidien. On ne se porte pas au mieux, mais le "mieux" était un idéal lointain. On fait avec les emmerdes qui empoisonnent l'existence de tous les parisiens depuis trois ans. Rien de grave, ce qui est souvent une chance, mais on ne va pas "bien". On supporte le quotidien. Comme on supporte la pluie.

Barbara lança les clés de la voiture de patrouille à Cellier tout en se dirigeant su côté passager. "C'est toi qui conduit, aujourd'hui."

Ils prirent tous les deux place à bord de la Volkswagen gris métallisé, dont les sièges usés sentaient le renfermé.

Cellier mit le contact et demanda : "On patrouille dans quel secteur ?"

Barbara tapa rapidement sur son smartphone, puis le positionna sur le support prévu à cet effet. Elle pointa les indications du GPS qui était affiché à l'écran. "Tu te rends là."

Bien que circonspect, le bleu resta silencieux et passa la première.

Les bâtiments haussmanniens à la façade salie par la pluie impropre défilaient. Barbara avait entrouvert la fenêtre pour laisser s'échapper la fumée du cigarillo qu'elle s'était allumé.

"Bon, je vais te faire un petit topo, mais garde en tête que la réalité est bien plus complexe que ça.

"Tu sais sûrement que depuis les élections de 2037, c'est plus ou moins la merde ici. La Police Nationale parisienne a été réformée pour mieux endiguer les émeutes, les vols et les gangs. On l'appelle maintenant PRP, Police de la Région Parisienne. En gros, c'est devenu la milice privée des saloperies de costumes qui gèrent le pays. Ils n'ont fait qu'empirer les choses, au final, et pratiquent l'extorsion, l'assassinat et les perquisitions arbitraire."

Cellier haussa ses fins sourcils. "Vous n'avez pas votre langue dans votre poche. À Nantes, si on osait médire du gouvernement, on se prenait automatiquement un blâme. Vous n'avez pas peur des représailles de vos supérieurs ?"

Barbara ricana. "Nan, bien au contraire. Nous à la DGSI on dépend théoriquement du ministère de l'Intérieur, c'est vrai, mais dans les faits les grand pontes de l'organisation ont fait pression pour garder leur indépendance.

"Du coup, c'est nous qui jouons le rôle de police, à Paris. C'est pour ça qu'on patrouille et tout le bordel."

"Et qui s'occupe de la sécurité intérieure au pays ?"

"La DGSE. Ça a l'air con comme ça, mais considère que la Région Parisienne est un pays différent de la France. Rien ici ne fonctionne plus comme dans le reste de l'hexagone."

"Je vois. Et la PM ? Et la PS ?"

"La Police Municipale n'a administrativement pas bougé. Dans les faits ils aident les citoyens comme ils peuvent, avec le peu de moyens qu'ils ont.

"Quant à la Police Scientifique, j'en sais foutrement rien. On ne les a pas vu se pointer depuis la réforme."

Cellier se tut un moment, assimilant ces informations et se concentrant sur la route.

Barbara repris "L'armée et la gendarmerie ont été plus ou moins intégrés à la PRP, ce qui les rend putain de puissants. Mais c'est une aide surtout matérielle."

Cellier secoua la tête. "C'est diablement compliqué."

Barbara explosa de rire. "Attends un peu que je te parle des organisations civiles, des ONG et des organisations de l'ombre ! T'en a pas fini !"

Elle cracha une bouffée de fumée. "Mais on en parlera plus tard. Assimile déjà tout ça, et ce sera déjà pas mal pour un premier jour."

"Donc, si je résume," conclu Cellier, "La Police Nationale et l'armée sont devenus une milice privée, la Police Municipale une sorte de vigilance citoyenne, et la DGSI joue le rôle des polices, c'est bien ça ?"

Barbara hocha la tête. "On est bientôt arrivés."


C'était marrant, parce que quand elle parlait de Michaël Brunet, chef de section à la DGSI, à des gens qui ne le connaissait pas, ils s'imaginaient toujours un blanc. Un des plaisir secret —mais certainement pas coupable— de Barbara était d'observer les congestions de leurs visages quand ils se rendaient compte qu'il était noir, comme si "Brunet" ne pouvait pas être le nom d'une personne dont la famille était française depuis "seulement" cinq générations.