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Il s'apprête à planter sa lance dans le sol, mais quand il abaisse son regard et se rappelle là où il se trouve, il se ravise et la pose délicatement sur la terre meuble.
Il s'apprête à planter sa lance dans le sol, mais quand il abaisse son regard et se rappelle là où il se trouve, il se ravise et la pose délicatement sur la terre meuble.
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Version du 10 avril 2023 à 18:33

Une idylle solitaire
RecueilPetit Jardin en Fleur
TypeNouvelle
ÉtatPublié

Une idylle solitaire

Année 668 du Premier Âge.

Le regard... Le regard est le principal vecteur des émotions que nous ressentons.

Beaucoup ne serait pas d'accord avec cela. Après tout, l'ouïe est aussi un sens primaire, ayant beaucoup d'importance dans notre appréciation du monde qui nous entoure. Mais même si on nous raconte une histoire ou qu'on apprécie les sons que la nature nous fait parvenir les yeux fermés, on ne peut s'empêcher de voir. On ne peut empêcher les images d'apparaître sous nos paupières. La vue est le sens principal de l'humanité.

Mais plus que la vue, le regard. Le regard est la personnification de notre vue, un avatar que l'on projette autour de soi, une caresse que l'on fait glisser sur ce qui est à la portée de nos yeux.

C'est pour cela que, même quand le regard est masqué, il suscite nombre d'émotion. Être sourde est une incommodité. Être aveugle est //=======//. À quoi ressemble la vie de ceux qui sont aveugles de naissance ?

Mes poils se hérissent sur mes bras. Je suis entourée de brume. Ce n'est pas le brouillard gris qu'on voit souvent le matin, ici au fond du Vallon-Havre, sur les rives du Havrelac, cette purée de poids qui obstrue graduellement la vision. La brume qui m'enveloppe est comme une fumée, dense mais statique, presque palpable mais impossible à dissiper. Elle est blanche, presque lumineuse. Elle agit comme de fines cloisons guidant ma progression au cœur de ce jardin, probablement le plus beau jardin du monde.

Cette exploration est merveilleuse, au premier sens du terme, car surgissent régulièrement, au fil des murs de brume que je traverse, les plantes le plus somptueusement raffinées que j'ai jamais vu.

Il est difficile de relater la perfection. On pourrait croire qu'il suffirait de décrire les merveilles qui ornent le jardin avec un lyrisme fringant, mais ce ne serait qu'une pâle tentative reproduction à laquelle il manque l'essence de ce qui la rend si parfaite. Comme si lire une pièce de théâtre était une bonne représentation de celle-ci. Non, le théâtre est une représentation. Le théâtre se vit.

Tout comme ce jardin, il faut le vivre.

Je peux néanmoins retranscrire ce qui rend ce paysage à la fois si unique et si parfait. Il y règne un silence absolu. Pas un silence sourd, car on entend le bruissement de sa propre progression. Pas un silence de mort, car la vie n'est pas absente, elle est simplement discrète. Un silence serein, comme si toute la nature était à l'écoute, dans une contemplation d'elle-même.

La seule odeur qui nous parvient et le doux embrun des flots brumeux qui entourent l'île sur laquelle se cache le jardin. La brume est glaciale, nous donnant presque l'impression de flotter.

Oui, ce jardin est entièrement et uniquement dédié au regard.


J'ai l'impression de voyager au cœur d'un songe, de surprise en étonnement, d’apaisement en émerveillement.

Pourquoi ce jardin ? Comment ce jardin ?

Je ne sais pas. Et je ne pourrais pas moins m'en soucier. La seule expérience est au-delà de toute préoccupation.





Il s'apprête à planter sa lance dans le sol, mais quand il abaisse son regard et se rappelle là où il se trouve, il se ravise et la pose délicatement sur la terre meuble.