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Le colloque de Ketarop
RecueilPetit Jardin en Fleur
TypeVignette
ÉtatPublié

Le colloque de Ketarop

Chateau de Ketarop-sur-lac, année 1247 du Premier Âge

Un vent tiède siffla dans la grande halle. Certains convives frissonnèrent, les autres restèrent impassibles.

“Mes amis, prenez place !“

Hergonh Iomenisc, châtelain de Ketarop et haut dignitaire de l’Arcanisme, avait pris la parole dans l’espoir de réchauffer un peu ses invités, tout en désignant la grande table qu’il avait fait dresser au centre de la halle. Des mets de qualité avaient été apportés, mais ceux-ci avaient peine à embaumer la salle de leurs fragrances.

“L’automne est-il toujours aussi accueillant, par chez vous ?“ L’absence d’ironie dans la voix de Falfal-Galiena avait jeté un froid. Il avait pris place dès que le seigneur Iomenisc l’avait autorisé et examinait les fruits disposés devant lui. Il portait une longue robe sinople ornée de motifs de cuivre. Une rose était brodée au fil noir sur son pectoral.

“L’automne est éternel, dans le pays d’Arop, vous le savez sans doute“, répondit l’hôte avec une politesse courtoise “je suis navré si certains d’entre vous se sentent incommodés par la bise qui aère ces lieux“. Galiena eut un sourire mesquin, découvrant des dents parfaitement blanches.

Après un instant de malaise, au fil des convives qui se mettaient à table, l’embarras général laissa peu à peu place aux discussions mondaines. Mais le châtelain eut tôt fait d'attirer derechef l’attention à lui et la gêne regagna l’assemblée :

“Comme vous le savez tous, si j’ai invité des représentants de toutes les traditions qui se trouvent entre le guide et l’abandon, c’est pour parler d’un sujet grave. Ce sujet, vous le connaissez déjà : le conflit qui oppose présentement deux visions partisanes de l’Expressionnisme et la Foi et menaçant d'éclater en conflit armé d’un jour à l’autre.“

Le silence revint. Un vent de guerre parcouru la grande halle. Les dignitaires concernés se jetèrent des regards fuyants. Ils étaient de toute évidence lucides sur la situation, mais en posture de déni.

Le maître des lieux abattit ses deux mains sur la table avec fougue, faisant tinter couverts et timbales.

“Écoutez ! Il se dit derrière des portes closes que le conflit impliquera bien plus que ces deux traditions. Nous sommes ici pour éclaircir ce point précis. Est-ce que quiconque ici a quelque chose à déclarer à ce sujet ?“

La voix puissante et doucereuse de Galiena résonna en réponse à cet appel.

“Afin de délier les langues, pourquoi ne pas commencer par vous, très cher Hergonh ? Qu’a l’Arcanisme à déclarer sur cette guerre imminente ? Quelle est sa position ?“

Iomenisc lui jeta un regard noir, mais ne put que céder face à cet élan de bon sens. Après un instant d’interdiction, il déclara finalement :

“Nous sommes sur le point de conclure une alliance avec les séparatistes exaltés. En théorie, notre implication n’est que matérielle, mais…“

Il se pinça l’arrête du nez

“Mais personnellement, j’ai peur que nous soyons pris à partie dès que les premières batailles éclateront. J’espérais qu’avec l’aide de toutes les autres traditions, nous arriverions à maintenir un statu quo.”

Cette révélation lança une vague de murmures angoissés.

“Et bien, vous êtes en bien mauvaise posture“ s’esclaffa Galiena en saisissant un fruit délicat et pulpeux.

En réaction à cette dérision mal placée, le dignitaire se trouvant face à lui, un diseur, l’interpela :

“Et quid du druidisme, Galiena ? Vous partagez bien une valeur avec un des deux camps séparatistes, n’est pas ? Vous comptez prendre position ?“

Galiena plongea alors instantanément un regard froid et cruel dans l’œil de son interlocuteur.

Pour le moment, je compte juste profiter du repas.

Et ce disant, les yeux de Galiena prirent une teinte blanc-argenté. L’air se réchauffa sensiblement autour de lui et des nervures noires apparurent sur le fruit qu’il tenait en main. Ce dernier se ternit à vue d’œil, pour devenir en quelques secondes complètement grisâtre. Avec fermeté, Galiena serra le poing et le fruit tomba en cendres. Le druide se para d'un air de délectation, comme s’il avait directement goûté le fruit.

“Délicieux !”

Le diseur qui lui faisait face avait le visage déformé par un rictus d’horreur. Désormais, tout le monde savait pourquoi Falfal-Galiena était surnommé “le Nécromant”.


Dans un coin de la salle, Arthus Rexigis observait la scène. En tant que représentant de la tradition égérienne et champion de celle-ci, il était un invité de marque, mais il avait refusé de se joindre aux autres convives. Il était venu pour constater.

En sa qualité de champion, il était en armes. Il portait une armure de cuir complète, agrémenté d’un large point noir détouré de blanc, symbole de l'Égérie. Une chaîne d’arme, noire également, était enroulée autour de son bras gauche. Il était adossé au mur, sur la gauche du châtelain.

La démonstration du Nécromant avait eu son effet. Les invités avaient commencé à s’indigner, puis à s’injurier. Ceux qui voulaient éviter le sujet principal du colloque avaient renchéri, et maintenant, tout le monde se disputait. Le maître des lieux tenta de ramener l’ordre, mais en vain. Plus il tentait de se faire entendre, plus les invités hurlaient.

Rexigis prononça quelques mots, puis se concentra un instant. Sa pupille disparut, un serviteur frissonna en passant devant lui. Tout en fixant Iomenisc, il murmura :

“Il semblerait que vous ayez échoué, Hergonh. Je vous ai donné une chance de sauver la situation, mais c’est malheureusement un échec.“

Le châtelain, bien qu’il se trouvait à une dizaine de mètres, tourna la tête vers lui comme s’il l'avait entendu. Il suppliait Rexigis du regard.

“Je suis réellement navré, Hergonh“, renchérit ce dernier en prenant un air désolé, “mais la guerre est désormais inévitable.”

Le champion se détourna alors et quitta la halle. Tandis que derrière lui les plus hauts dignitaires du monde commençaient à casser la vaisselle, il chuchota pour lui-même :

“L’humanité est sur le point d’entrer dans une nouvelle ère, pour le meilleur ou pour le pire…“